On parle beaucoup des agresseurs en soutane, ces temps-ci. Mais combien de laïcs ont eux aussi profité de leur situation pour agresser sexuellement des enfants? C'est ce qui est reproché à Roger Cantin, qui a fait carrière à la DPJ et dans les centres jeunesse de Montréal.

Retraité depuis quelques années, l'homme de 64 ans a vu son passé le rattraper en juin dernier, quand il a été accusé d'attentat à la pudeur et de grossière indécence à l'égard d'un jeune garçon qui était placé au centre Dominique-Savio, il y a une quarantaine d'années. À l'époque, M. Cantin était chef éducateur dans cette ressource pour jeunes en difficulté de la rue Saint-Hubert, à Montréal. Les crimes qui lui sont reprochés se seraient produits plusieurs fois entre le 1er janvier 1972 et le 30 décembre 1975. Le plaignant, Jacques Benoit, affirme qu'il a été marqué au fer rouge par son passage au centre Dominique-Savio et par sa relation avec M. Cantin, qu'il considérait presque comme un père.

«Symboliquement, c'était mon père. J'étais pris dans une toile affective», évalue M. Benoit, lui-même devenu éducateur spécialisé.

Discrète escapade

Issu d'une famille dysfonctionnelle de cinq enfants, dont le père était alcoolique et la mère, neurasthénique, Jacques Benoit avait connu la crèche d'Youville et les familles d'accueil avant d'arriver à Dominique-Savio, vers l'âge de 11 ans. En manque d'amour et de stabilité, le garçon était habité d'une sourde révolte, qui éclatait sous forme de crises de colère.

Le chef éducateur Roger Cantin trouvait les mots pour l'apaiser, se souvient-il. «C'était la première fois de ma vie qu'un être humain essayait de me comprendre», dit M. Benoit.

Un jour, M. Cantin aurait discrètement invité le garçon chez lui. Trop heureux de cette escapade, le jeune Benoit y est allé tête baissée. Mais il y avait un prix à payer. M. Benoit affirme que le chef éducateur l'a agressé sexuellement. Ne connaissant rien de ces choses, il ne comprenait pas ce qui se passait. «La première fois, j'ai pensé qu'il allait me tuer», se souvient M. Benoit. Dans son souvenir, dès le lendemain, au centre, il a raconté qu'il avait un «nouvel ami»: Roger, chez qui il avait passé la nuit. M. Benoit dit qu'un des dirigeants du centre est venu le voir et lui a posé des questions à ce sujet.

M. Benoit affirme que cela lui a finalement valu d'être envoyé dans un autre centre, en Estrie. Il croit que le chef éducateur a lui aussi été muté. M. Benoit dit néanmoins avoir gardé contact avec Cantin, chez qui il se réfugiait occasionnellement lorsqu'il faisait des fugues. Selon son récit, Cantin lui aurait fait découvrir la guitare et la chanson française; il lui donnait accès à de l'alcool et à des drogues douces. Le prix à payer était toujours le même.

Après cela, le jeune Benoit a connu des années de galère, a même vécu dans la rue, avec les aléas que cela comporte. Mais il a fini par se ressaisir.

Au milieu des années 80, alors qu'il étudiait pour devenir lui-même éducateur, Jacques Benoit a entrepris de dénoncer M. Cantin, qui poursuivait sa carrière à la Direction de la protection de la jeunesse. «On m'a dit qu'il fallait que je trouve une autre victime, sinon ça ne passerait pas en cour», soutient M. Benoit. Il a donc ravalé et laissé tomber. Quant à M. Cantin, il aurait été affecté à des tâches qui ne le mettaient plus en contact avec des jeunes. C'est du moins l'information qu'a obtenue M. Benoit. C'est aussi ce que Denis Ménard, travailleur social à la retraite, a confirmé à La Presse. M. Ménard, qui a acquis une grande expertise en matière d'enfants agressés et de prostitution juvénile, est bien au fait de l'histoire de M. Benoit.

«Je n'avais que 11 ans»

Les années ont passé, mais M. Benoit n'a jamais oublié. «C'est une blessure psychique, une atteinte à l'âme. On n'en guérit pas.» En 2006, il a tenté d'exorciser son mal en écrivant son histoire dans un livre intitulé Je n'avais que onze ans - La pédophilie: un crime contre la personne, publié chez Libre Expression. Il voulait inciter les personnes victimes de sévices dans leur enfance à dénoncer leurs agresseurs. Son message s'adresse particulièrement aux hommes qui, souvent, se taisent par honte, «parce que ça ne fait pas viril», se désole M. Benoit.

En ce qui le concerne, M. Benoit a porté plainte de nouveau à l'été 2009. Cette fois, sa plainte a abouti à la mise en accusation de Roger Cantin. La date du procès reste cependant à déterminer. Aux yeux de la loi, l'homme est donc innocent jusqu'à preuve du contraire.

Récemment, on a fait grand cas des agressions survenues au collège Notre-Dame, établissement privé fréquenté par des enfants de familles aisées. Un appel à tous a même été lancé pour trouver les victimes. M. Benoit aimerait bien qu'on mette la même énergie pour retrouver les «victimes de Dominique-Savio», où se retrouvaient des enfants démunis non seulement socialement, mais aussi financièrement. «Parce qu'il y en a eu d'autres», assure M. Benoit.

Il est à noter que M. Benoit offre gratuitement son livre sur son site web, www.jacquesbenoit.ca.

Photo fournie par Jacques Benoit

Jacques Benoit (à droite) a fréquenté le centre jeunesse Dominique-Savio dans les années 70. Il affirme que Roger Cantin (à gauche), chef éducateur au centre, l'a agressé sexuellement.