André avait 18 ans lorsqu'il a été condamné pour meurtre. Il était avec un ami. «On était saouls et on n'avait plus d'argent pour boire. On a décidé de faire un chauffeur de taxi», raconte-t-il en s'appuyant lourdement sur sa canne et en serrant maladroitement la ceinture de sa robe de chambre.

C'était en 1966. Le vol à main armée a mal tourné, le chauffeur a été abattu. André a été condamné à mort. Pendaison. Mais en 1968, la peine de mort a été abolie. André a donc purgé sa peine: 22 ans. Il s'est évadé cinq fois. Il avait 40 ans lorsqu'il a été libéré. Il s'est promis qu'il ne remettrait plus jamais les pieds en prison.

 

Pendant 20 ans, il s'est tenu tranquille. De 40 ans à 60 ans. Vingt ans de liberté où il a multiplié les petits boulots, même si «travailler au salaire minimum, c'est câlisse». Tout pour éviter la prison.

Aujourd'hui, André a 61 ans. Il vit dans une maison de chambres depuis sa sortie de prison. Car il est retourné en prison. En 2008. Quelques mois qui lui ont semblé une éternité.

Il était malade. Malade en prison, son cauchemar. «Ils te bourrent de pilules. C'est pas ça, soigner. Le patient a besoin de réconfort. J'étais couché dans ma cellule 20 heures par jour. J'allais à l'infirmerie en chaise roulante. On me donnait mes pilules, pis on me disait: «Retourne dans ta cellule.»»

Il a eu peur de mourir en prison. «J'avais l'impression que les gardiens me disaient: «Hey! Le vieux! Meurs à 7h, comme ça, tu seras pas sur mon shift!» Je regardais le cimetière à travers les barreaux et je me disais: faut pas que tu meures, sinon tu vas passer ta vie en prison, sous terre.»

André traîne sa carcasse usée. De rares cheveux blancs s'effilochent sur son crâne. Sa voix est lente, son élocution laborieuse, son souffle court. Les séquelles d'un AVC.

André a eu une enfance difficile. Il a passé les 19 premiers mois de sa vie dans un orphelinat. C'était un enfant illégitime. Son père l'a finalement recueilli chez lui, mais sa belle-mère ne l'a jamais accepté. «J'étais la preuve de l'infidélité de mon père. Ils m'ont retourné trois fois à l'orphelinat.»

André ne mangeait pas en même temps que ses demi-frères et soeurs et il n'y avait jamais de cadeau pour lui sous l'arbre de Noël. Son père était un homme violent. Il battait sa femme et ses enfants.

À 15 ans, André a décidé qu'il en avait assez. Il est parti. Trois ans plus tard, il s'est retrouvé dans l'aile des condamnés à mort.

L'année dernière, il a fait une tentative de suicide. Il s'est enfermé dans un motel et il a ingurgité des pilules. «J'ai été dans le coma. Ils m'ont sauvé in extremis.»

Aujourd'hui, il se déplace difficilement. La moitié gauche de son corps est paralysée. Il est seul, célibataire, sans femme ni enfant. À 61 ans.

André rêve de se dénicher un petit carré de terre tranquille. «Je me ferais pousser la barbe, j'aurais un chapeau de paille sur la tête. Je pourrais m'assir sur le bord d'un lac et me demander pourquoi le monde est de même. J'ai pas encore compris.»