L'effet du mouvement #moiaussi s'est fait sentir à Montréal en 2017 alors que les plaintes pour agressions sexuelles ont fortement augmenté. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a enregistré l'an dernier une hausse de 23 % du nombre de dénonciations. Reste maintenant à savoir si la métropole a connu une vague passagère ou si le mouvement laissera des traces à long terme.

VAGUE DE DÉNONCIATIONS

Le SPVM a enregistré 1828 cas d'agressions sexuelles en 2017, selon le rapport annuel du corps policier. C'est nettement plus que les 1487 cas signalés l'année précédente. En fait, ce nombre de dénonciations est le plus élevé en 15 ans, et surpasse le sommet atteint en 2005 alors que le Québec avait été secoué par le cas de la chanteuse Nathalie Simard. « On peut très bien comprendre que c'est grâce à la campagne #moiaussi qu'il y a eu cette hausse marquée », évalue Nathalie Goulet, élue responsable de la sécurité publique au sein de l'administration Plante.

BOND EN OCTOBRE

Une analyse des données du SPVM permet d'ailleurs de constater une forte hausse des dénonciations en octobre, alors que le nombre de plaintes a plus que doublé par rapport à l'année précédente. Pas moins de 285 plaintes ont été reçues, contre 134 en octobre 2016, soit une hausse de 113 %. La vague s'est poursuivie en novembre, alors que le nombre de dénonciations a été 43 % plus élevé. Rappelons que la question des agressions et inconduites sexuelles s'est imposée dans l'actualité à la suite des révélations du New York Times le 5 octobre 2017 au sujet du producteur Harvey Weinstein, ce qui a donné naissance au mouvement #moiaussi (#metoo en anglais). Le Québec n'a pas échappé à la vague : une dizaine de jours plus tard, des allégations ont éclaboussé l'animateur Éric Salvail et l'homme d'affaires Gilbert Rozon.

PLACE AU SOUTIEN

Le Regroupement des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) voit dans cette hausse un effet des mouvements de solidarité vus notamment sur les réseaux sociaux. « C'est clair que les mouvements comme #moiaussi font en sorte que les survivantes vont aller chercher du soutien, que ce soit dans les centres d'aide ou dans les postes de police pour dénoncer leur agresseur. Elles se sentent plus soutenues », dit Stéphanie Tremblay, porte-parole du Regroupement. Les CALAS, qui soutiennent les femmes victimes, ont vu les demandes d'aide tripler en octobre dernier, dans la foulée des affaires Weinstein, Salvail et Rozon. Et depuis, les demandes continuent d'affluer, poursuit Mme Tremblay. 

EFFET D'ENTRAÎNEMENT 

L'impact des causes hautement médiatisées est bien documenté, souligne Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal. « Je ne suis pas surprise. C'est un phénomène qu'on voit. En matière d'agressions, pour toutes sortes de raisons, on ne voit pas nécessairement qu'il y a matière à dénonciation. Mais quand on a un exemple sous les yeux et qu'on associe ce qu'on a vécu à cet exemple, on dirait qu'il y a une prise de conscience, une petite barrière qui saute », indique celle qui est également directrice de l'Institut de recherches et d'études féministes. La sortie publique de Nathalie Simard, en 2005, avait entraîné une forte hausse des dénonciations pour agressions sexuelles. À la fin des années 80, une campagne-choc du cinéaste Jean-Claude Lauzon avait eu le même effet pour la violence conjugale. 

HAUSSE DES ACCUSATIONS

Non seulement les victimes d'agressions sexuelles sont plus nombreuses à dénoncer, mais les policiers déposent également plus souvent des accusations. Le SPVM rapporte avoir déposé des accusations contre 346 personnes en 2017 (288 adultes et 58 mineurs) dans des affaires d'agressions sexuelles. C'est davantage que les 310 cas recensés l'année précédente. Ces chiffres restent faibles, des accusations n'étant déposées que pour une plainte sur cinq, souligne Stéphanie Tremblay. « On voit bien que ce ne sont pas la majorité des cas qui vont être traités en justice. On encourage les victimes à dénoncer, mais le système a encore ses devoirs à faire », estime-t-elle. 

PEU DE CONDAMNATIONS

De plus, qui dit accusation ne dit pas nécessairement condamnation. Au Québec, 76 % de l'ensemble des accusations déposées se terminent par un verdict de culpabilité, selon Statistique Canada. Mais pour les agressions sexuelles, c'est seulement 60 %. « Pour moi, le problème est là. S'il y a un tel écart entre le nombre de mises en accusation et le nombre de condamnations, ça veut dire qu'il se passe quelque chose au moment des procès. Tant qu'on n'aura pas ramené les taux de condamnation à la moyenne, je vais continuer à être sceptique sur la capacité du système à prendre en charge les crimes sexuels », dit Rachel Chagnon. Celle-ci se console toutefois en constatant que le Québec fait meilleure figure que l'Ontario, où à peine 37 % des accusations d'agression sexuelle mènent à une condamnation.

MAIS UN EFFET À LONG TERME ?

La question est également de savoir si le mouvement #moiaussi aura un effet à long terme. Et la chercheuse Rachel Chagnon en doute. « C'est rarement un effet qui dure indéfiniment dans le temps », constate la professeure. Mme Chagnon indique que les mouvements peuvent augmenter le nombre de dénonciations, mais les démarches qui aboutissement peu fréquemment sur des condamnations finissent par avoir un effet de douche froide, et l'on constate une diminution du nombre de plaintes. Selon une étude de 2014 de Statistique Canada, les agressions sexuelles sont l'un des crimes les moins rapportés : à peine 5 % des cas seraient signalés à la police.

MONTRÉAL ÉVALUERA SON TRAITEMENT

Estomaquée par la forte hausse des dénonciations observée en 2017, l'élue Nathalie Goulet compte évaluer les mesures en place au SPVM pour traiter les cas d'agressions sexuelles. « On va regarder ce qui est fait et si ce qui est en place convient. On va l'évaluer », a indiqué la responsable de la sécurité publique de Montréal. Alors que le corps policier présentera son rapport annuel devant le Commission de la sécurité publique le 22 mai, Nathalie Goulet compte bien en profiter pour questionner l'état-major sur la décision de mettre fin à la ligne téléphonique de crise mise en place dans la foulée des affaires Salvail et Rozon, en octobre dernier.