Le nombre de contrebandiers de tabac arrêtés et la valeur des impôts qui leur sont réclamés ont fracassé des records l'an dernier, selon de nouveaux chiffres compilés par la Sûreté du Québec. À cela s'ajoute l'explosion des taxes de ventes collectées grâce au retour des fumeurs vers le marché légal. Pour le corps policier, la démonstration est faite: la guerre à la contrebande est une excellente façon de renflouer les coffres de l'État québécois.

Quatre mots pour comprendre:



CONTREBANDIERS


À elle seule, la SQ a obtenu le dépôt d'accusations contre 2209 contrebandiers de tabac allégués l'an dernier, à la suite d'environ 2000 enquêtes et 2142 perquisitions.  « C'est une année record ! », se félicite l'inspecteur Michel Pelletier, directeur de la lutte à la criminalité contre l'État au sein de la SQ.

À ces chiffres s'ajoutent tous les suspects arrêtés par la GRC ou les corps de police municipaux comme le SPVM. Petits ou gros, les contrebandiers ont le même but, selon M. Pelletier. « L'objectif ultime, c'est l'enrichissement à l'abri du fisc. » Certains se concentrent uniquement sur les cigarettes, mais d'autres, comme des caïds reliés aux motards, au crime organisé asiatique, au crime organisé traditionnel québécois, à la mafia italienne, y voient une façon de diversifier leurs activités criminelles et financer d'autres trafics, comme l'importation de drogue.

Ceux qui ont déjà de l'expérience dans le trafic illicite de marijuana ou de cocaïne peuvent facilement reproduire un modèle semblable avec le tabac. Seule différence avec le monde des stupéfiants : « Le marché du tabac illicite est plus libre, moins contrôlé par des organisations qui possèdent un territoire spécifique », observe M. Pelletier. En fin de compte, du petit revendeur de cigarettes de quartier au gros joueur du crime organisé, tous sont dans la ligne de mire des policiers. « Même le gars avec deux caisses de cartons destinées à la revente dans sa valise d'auto, il peut se faire saisir son véhicule », renchérit M. Pelletier.

CONSOMMATEURS

En comparant le nombre de fumeurs et le total des ventes légales de tabac sur l'ensemble du territoire québécois, les autorités arrivent à évaluer la part du tabac de contrebande dans l'économie. Depuis quelques années, cette part a atteint un plancher historique. « À 14 %, c'est le taux le plus bas jamais vu ! », s'exclame l'inspecteur Michel Pelletier, au sujet des chiffres de la dernière année. En 2009, le taux était de 30 %, soit plus du double. Selon Pelletier, ce record a été atteint notamment grâce à la pression policière.

« Quand on mène une frappe dans une communauté, les gens se tournent vers le produit légal. Des propriétaires de dépanneurs nous disent qu'ils voient des augmentations de 20 à 25 % de ventes après une opération policière, et on ne parle pas ici de nouveaux fumeurs. »

RECETTES

« Les chiffres sont là, il y a plus d'argent dans les coffres de l'État », constate Michel Pelletier. L'action policière n'est pas seule en cause, mais lorsque les consommateurs reviennent aux produits du tabac légaux plutôt qu'à ceux achetés sur le marché noir, les taxes perçues grimpent en flèche : de 2008-2009 à 2013-2014, les revenus provenant de la taxe spécifique au tabac sont passés de 654 millions par année à 1,03 milliard. Une augmentation de 370 millions, comme l'a souligné la ministre Lise Thériault à l'Assemblée nationale cette semaine.

Mais les recettes de la lutte à la contrebande ne s'arrêtent pas là. La SQ a saisi 310 véhicules l'an dernier et les enquêtes ont permis à Revenu Québec de dépasser son record d'amendes et d'avis de cotisations, avec 69,6 millions de dollars.

« L'objectif est de briser le cercle de la criminalité. Quand ils sortent de prison, les contrebandiers n'ont pas un dollar issu du tabac de mis de côté. Ça envoie le message que le crime ne paie pas », affirme Michel Pelletier.

POLICIERS

À la grandeur du Québec, un bureau de coordination répartit le travail des différents corps policier dans le cadre du programme Accès tabac, une initiative du gouvernement québécois pour lutter contre la contrebande, qui a mené à la création de groupes spéciaux de policiers qui se concentrent uniquement sur ce phénomène.

« Avec Accès tabac, on a un nombre d'enquêteurs payés spécialement pour ça, des frais de fonctionnement, un parc de véhicules, une banque de temps supplémentaire. Notre modèle intéresse beaucoup l'Ontario, ils aimeraient l'imiter », explique Michel Pelletier.

Les policiers mènent simultanément des enquêtes à trois niveaux. À court terme, ils frappent les contrebandiers de quartier. À moyen terme, les réseaux structurés mais peu sophistiqués qui peuvent être démantelés en quelques semaines. Et à long terme, les gros réseaux de crime organisé sophistiqués, contre qui des accusations de gangstérisme sont de plus en plus souvent déposées, pour un effet dissuasif maximum.

PHOTO FRANCOIS ROY, LA PRESSE

Michel Pelletier, directeur de la lutte à la criminalité contre l’État au sein de la SQ

Photo archives La Presse

Lorsque les consommateurs reviennent aux produits du tabac légaux plutôt qu’à ceux achetés sur le marché noir, les taxes perçues grimpent en flèche. De 2008-2009 à 2013-2014, les revenus ont augmenté de 370 millions.