Depuis cinq ans, 13 détenus ont réussi à s'évader d'établissements de détention québécois, une situation qui soulève un doute sur les mesures de sécurité et qui n'est pas sans entraîner des coûts : la traque récente de trois détenus de la prison d'Orsainville après une évasion en hélicoptère a fait gonfler la facture d'au moins 200 000 $ à la SQ, selon des documents obtenus grâce à la Loi d'accès à l'information.

Les 18 centres de détention de la province comptent quelque 5000 détenus répartis dans 18 centres de détentions de la province, mais ces 13 évasions demeurent préoccupantes, selon le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec. « Chaque évasion est de trop », explique Mathieu Lavoie, président du syndicat.

La dernière, en plus d'être spectaculaire, était particulièrement inquiétante puisqu'il s'agissait de trois présumés meurtriers qui ont été au large pendant 15 jours. La durée de la cavale explique en partie la facture de 200 000 $ pour la Sûreté du Québec. Ce montant comprend notamment les heures supplémentaires, les indemnités pour des frais de repas et d'hébergement, mais pas les salaires en heures de travail réglementaires.

La Sûreté du Québec n'a répondu que partiellement à notre demande d'accès puisqu'elle a refusé de divulguer le coût des interventions de l'escouade tactique, le nombre et le type de véhicules engagés, le coût d'utilisation des hélicoptères ou des services de télécommunication ou encore le coût des heures régulières et le nombre d'agents mobilisés. Les coûts réels pourraient donc être beaucoup plus élevés.

Tendance à la hausse

En ce qui concerne la fréquence des évasions, on remarque une tendance à la hausse ces dernières années puisque les sept dernières se sont produites après avril 2012. Tous les fugitifs ont été repris après quatre jours de cavale en moyenne, précise Jean-Philippe Guay, l'attaché de presse de la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault. Toutes ces évasions se sont produites dans six détentions du Québec. Mathieu Lavoie indique que le syndicat travaille de concert avec le ministère de la Sécurité publique pour améliorer la sécurité de l'ensemble de centres de détention.

Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels réclame davantage de mesures de sécurité depuis plusieurs années. « Les prisons ne sont pas ce qu'on finance le plus, et ça ne rapporte pas l'argent, donc on investit moins. Avec les technologies qui évoluent, on doit suivre, il y a des problèmes de surpopulation et ça ajoute une pression à la sécurité », affirme M. Lavoie. Les deux évasions en hélicoptère ont toutefois permis une certaine prise de conscience de la classe politique, croit le syndicat.

Le député du PQ et porte-parole de l'opposition officielle en matière de sécurité Pascal Bérubé demande depuis quelques mois une commission parlementaire sur le système carcéral au Québec.

Selon Marc Picard, de la Coalition avenir Québec, les investissements dans la sécurité des centres de détention doivent être une priorité même en cette période d'austérité. Des investissements auraient peut-être permis d'éviter de dépenser les 200 000 $ qu'a coûté la dernière traque de la SQ.

Au lendemain de la première évasion en hélicoptère du centre de Saint-Jérôme en 2013, l'installation de câbles avait été envisagée dans les centres de détention du Québec pour éviter que la situation ne se répète, mais l'idée avait été abandonnée en raison des « coûts élevés ».

Ni le Parti québécois, qui était au pouvoir en 2013 (mais qui n'a plus accès aux documents), ni le ministère de la Sécurité publique n'ont été en mesure de divulguer ces coûts. La ministre Thériault s'est refusée à tout commentaire en invoquant l'enquête administrative sur l'évasion d'Orsainville dont le rapport n'a pas été rendu public, a expliqué l'attaché de la ministre.

M. Bérubé exhorte la ministre de rendre publics les rapports d'enquête sur les évasions pour faire toute la lumière sur la situation.

Le syndicat croit pour sa part qu'il existe plusieurs mesures moins coûteuses que l'installation de câble qui pourraient améliorer la sécurité, notamment l'augmentation d'effectifs ou l'installation de caméras.

S'évader pour revoir sa famille

Le criminologue et défenseur des droits des détenus Jean-Claude Bernheim se fait rassurant quant aux craintes de la population face à ces évasions.

« Toutes sortes de choses peuvent amener un détenu à vouloir s'évader. Ce peut être parce qu'un proche a des problèmes ou est mourant, ou parce qu'il s'ennuie de ses enfants. C'est une réaction à une situation qui est propre à chaque individu », explique-t-il.

Un juge a d'ailleurs tenu compte de cet argument en accordant une sentence de six mois supplémentaires à Steeve Desbiens, alors que la Couronne réclamait un an. Le détenu, qui purgeait une peine de deux ans pour des vols par effraction, s'était évadé du Centre de détention de Québec le 15 décembre 2012 en sautant une clôture. Le fugitif, retrouvé après cinq jours de cavale, disait s'être évadé pour aller voir ses enfants quelques jours avant Noël.

- Avec Serge Laplante