Le grand responsable de la lutte contre le crime organisé de la Sûreté du Québec (SQ) vient d'être embauché par la firme SNC-Lavalin, tout en demeurant employé du corps de police, a appris La Presse.

Un bon coup pour SNC - ciblée par des enquêtes de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) à la suite du scandale du Centre universitaire de santé McGill et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) -, mais une source de malaise dans le monde policier.

L'inspecteur Lino Maurizio, qui compte 21 ans de service, était jusqu'à tout récemment intégré à la «Grande fonction des enquêtes criminelles», en tant que chef de la lutte contre le crime organisé.

Le 2 décembre, il a troqué son uniforme de policier pour celui de «chef des enquêtes» au sein de la firme SNC-Lavalin. Une embauche que la société n'a pas rendue publique.

«M. Maurizio apportera à SNC-Lavalin son expérience et ses connaissances en matière d'éthique, de conformité et d'enquêtes», a écrit Lilly Nguyen dans un courriel à La Presse.

Retraite dans un an

Ce haut dirigeant a conclu une entente avec la direction générale de la SQ afin que sa retraite ne soit en vigueur que le 4 décembre 2014. Concrètement, il est donc toujours employé de la Sûreté, mais en congé sans solde pendant un an, comme prévu dans les «conditions relatives à l'exercice des fonctions des officiers de la SQ».

Selon nos sources, ce cas de figure particulier dans lequel se trouve Lino Maurizio a suscité - et suscite encore - des questionnements au quartier général de la rue Parthenais.

La direction de la Sûreté du Québec semble néanmoins confiante par rapport au cas Maurizio. Le nécessaire aurait été fait afin d'éviter tout soupçon de conflit d'intérêt ou de fuite d'informations sensibles, assure-t-on, dès que M. Maurizio a signifié son intention de se joindre à cette firme d'ingénierie qui fait l'objet d'une enquête policière.

On aurait même supprimé ses accès aux banques de données.

Son statut de «congé sans solde» lui assure toutefois de pouvoir revenir en cas de besoin à la SQ d'ici décembre 2014, date de son départ à la retraite.

«Nous avons pris des mesures et fait des vérifications, y compris au niveau de la Loi sur la police, confirme le lieutenant Michel Brunet. De plus, M. Maurizio n'a jamais été impliqué dans des enquêtes telles que celles traitées par l'UPAC.»

Pas d'accréditation de l'AMF

Cette embauche-surprise survient alors que la firme d'ingénierie montréalaise tente toujours d'obtenir son accréditation auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Cette accréditation est accordée ou refusée à la suite d'une enquête menée par l'UPAC et la Sûreté du Québec.

Or, à ce jour, SNC-Lavalin n'a toujours pas obtenu ce feu vert de l'AMF pour avoir le droit de soumissionner aux contrats publics québécois supérieurs à 10 millions.

«Leur dossier est toujours à l'étude, confirme Sylvain Théberge, de l'AMF. Nous attendons aussi la recommandation de l'UPAC les concernant.»

Une centaine de sociétés et filiales du groupe sont aussi bannies pour 10 ans des contrats attribués par la Banque mondiale, à la suite d'un scandale de corruption au Bangladesh. Cinq personnes, presque toutes des ex-employés de SNC, ont déjà été arrêtées et accusées par la GRC dans le cadre de cette enquête à la portée internationale.

La firme SNC compte-t-elle donc aussi sur l'arrivée de Lino Maurizio pour convaincre l'AMF de sa bonne volonté et la sortir du purgatoire?

«M. Maurizio sera en charge, avec son équipe, de contribuer à la mise en place du programme de conformité permettant à SNC-Lavalin de devenir un chef de file en matière d'éthique et de conformité, écrit Lilly Nguyen. SNC-Lavalin est confiante dans les mesures éthiques qu'elle a prises jusqu'à présent.»

L'inspecteur Lino Maurizio a occupé plusieurs fonctions à la Sûreté du Québec où, en haut lieu, on le considère comme un «excellent gestionnaire». Au cours des dernières années, il a notamment dirigé l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé autochtone (UMECO-A), avant de quitter ses fonctions en 2011.