Un Québécois condamné à sept ans de prison à l'étranger pour trafic de cocaïne a accepté de raconter son histoire à La Presse. Quand le raccourci vers les profits mène au cauchemar.

Il n'y avait pas assez de monde.

L'horloge indiquait 6h du matin et Hugo (nom fictif) marchait avec les passagers de son vol. Ils étaient une quarantaine à arriver dans l'immense terminal de verre conçu pour accueillir des centaines de voyageurs à la fois.

L'endroit était pratiquement vide. Les premières lueurs du jour de ce pays enchanteur de l'hémisphère Sud s'abattaient sur le sol poli.

Hugo portait ses vêtements habituels: t-shirt neuf, jeans neufs, chaussures neuves. Il portait en bandoulière un sac de sport, neuf lui aussi.

«Même mes chaussettes étaient neuves, se souvient-il. La dernière chose qu'on veut, c'est risquer d'avoir des fragments du produit sur ses vêtements.»

À une centaine de mètres d'Hugo, les premiers voyageurs commençaient à se présenter devant la demi-douzaine de douaniers. Les agents avaient tous l'air d'avoir moins de 30 ans.

«Ils fouillaient tout le monde, même les personnes âgées... D'habitude, on recherche les situations où les douaniers sont trop occupés pour faire attention à nous. Là, c'était le contraire. Je n'aimais pas ça.»

Un kilo de cocaïne se trouvait contre la peau du bas de son dos. La drogue était empaquetée sous vide dans un sac en plastique. Le sac était maintenu en place par plusieurs longueurs de ruban adhésif médical blanc.

Une bande élastique couleur chair, utilisée pour traiter les entorses et les maux de dos, était fermement enroulée autour.

Un jeune douanier a fait signe à Hugo d'avancer. Après les salutations d'usage, il lui a demandé en anglais pourquoi il entrait au pays. Puis il a demandé à fouiller son sac.

«J'ai posé mon sac sur la table. Le douanier l'a ouvert et s'est mis à en examiner le contenu. Ça se passait de façon banale, routinière. J'étais certain qu'il croyait à mon histoire.»

Hugo était calme, mais pas nonchalant. Précis dans ses réponses, mais pas bavard. Mentir aux douaniers demande une excellente maîtrise de soi. C'était la sixième fois qu'il le faisait.

«On joue un personnage, et on agit comme ce personnage, dit-il. On colle à notre histoire, sans faire d'effort. Je n'étais pas nerveux: j'étais à l'affût. C'est différent.»

Un gagne-pain

Passer à la douane avec de la drogue était devenu son gagne-pain. Une façon de faire en quelques jours une somme d'argent qu'il aurait mis des mois, voire plus d'une année, à gagner autrement. Ce matin-là, la drogue collée sur le bas de son dos valait 30 000$ chez un grossiste au Canada, et plus de 60 000$ à destination. Un profit de 30 000$.

Les sommes n'ont pas toujours été aussi substantielles.

Hugo avait 200 g de ha-schisch sur lui quand il a quitté l'aéroport Montréal-Trudeau pour aller en vacances dans une île du Sud, quelques années plus tôt. C'était la première fois qu'il passait de la drogue à la douane, et ça s'est déroulé sans difficulté.

«J'avais entendu dire que c'était facile de passer à la douane là-bas. Bien des gens le faisaient. Je connaissais des gens sur place. Je l'ai fait pour faire la fête, pour payer mon voyage.»

Une fois arrivé à destination, Hugo a réalisé qu'avoir du haschisch en vacances a ses avantages. «On est le king. On se fait payer la traite... Tout le monde nous trouve cool. C'est facile de prendre goût à cette vie-là.»

Quand son deuxième voyage "chargé" se déroule sans problème, son contact local lui fait l'accolade. "Écoute, lui dit-il, je connais des gens qui en prendraient pas mal plus que ça.»

Au Québec, Hugo connaît des gens qui gèrent de grandes quantités de drogue, et qui acceptent de lui en fournir à crédit. Un arrangement inusité, rendu possible par la confiance... et par la petitesse des quantités en jeu.

«J'étais travailleur autonome. Je leur donnais une somme d'argent, avec la promesse de payer le reste dans deux mois. C'était gagnant-gagnant. Eux, ils faisaient un profit, sans risques. Et puis, pour ces gens-là, les quantités que je déplaçais, ça ne voulait rien dire. C'était presque drôle.»

Après le haschisch, Hugo s'est mis à transporter de l'ecstasy. «L'ecstasy, c'est un autre niveau. C'est l'univers des fêtes, du sexe, des belles filles... Ce sont des sommes plus substantielles qui sont en jeu.»

Avant de prendre l'avion, Hugo préparait ses "missions" chez lui. Sur sa table de cuisine, les stores fermés, il mettait des gants de latex pour emballer les pilules d'ecstasy et les placer dans des sacs Ziploc remplis de grains de café ou de grains de poivre.

«Les chiens de la douane n'aiment pas ces odeurs. En même temps, on ne sait jamais si l'information qu'on a est à jour ou non. Peut-être qu'ils entraînent les chiens différemment année après année... On ne le sait jamais vraiment.»

Plusieurs personnes se font avoir et consomment la drogue qu'ils transportent. Hugo aimait faire la fête, mais sans jamais perdre de vue l'aspect commercial de son entreprise.

«Je commençais à faire partie de l'univers des jet-setters internationaux, qui voyagent de party en party. Ibiza, Goa... Il y a des risques, oui, mais ça me permettait d'avoir une autonomie que je n'aurais pu me payer autrement. Je me disais: je ne suis qu'un petit poisson dans l'océan du trafic. Les statistiques sont de mon côté. Je suis un aventurier. Chacun son trip.»

De la peur à l'extase

Un jour, dans un aéroport, alors qu'il transporte de la drogue, Hugo voit un agent arriver avec un épagneul au bout de sa laisse. Quelques minutes plus tard, le chien s'est assis devant un autre voyageur, que les agents ont emmené.

«Cette fois-là, je suis passé de la peur à l'extase. On sait qu'ils ont des ressources limitées, et j'étais bien content qu'ils aient les mains pleines avec ce gars-là.»

Rapidement, Hugo réalise qu'il n'aime pas transporter de l'ecstasy. Les pilules s'émiettent trop facilement et perdent leur valeur. Il se met alors à transporter de la cocaïne.

C'est là que se trouve l'argent, a-t-il réalisé.

Hugo allait avoir un nouveau problème: comment rapporter au pays les liasses de billets de 100$ qui lui tiennent lieu de chèque de paie?

Puis, de retour au Canada, comment les cacher?

Une pelle lui serait utile. Tout comme un contenant à l'épreuve de l'eau.

>>> À lire demain dans La Presse+ et mardi dans LaPresse.ca: «Je l'ai fait une fois de trop.»

Un phénomène rare

Les exportations de petites quantités de drogue du Canada vers l'étranger, comme celles qui sont évoquées dans le récit d'aujourd'hui, demeurent un phénomène rare.

«Souvent, les gens essaient de faire entrer la drogue ici, note le caporal Luc Thibault, porte-parole de la GRC. Exporter de la drogue du Canada vers l'étranger sur sa personne, pour faire un profit personnel, est quelque chose de rare.»

Pour ce qui est des exportations en grandes quantités, le tableau est bien différent: selon la police fédérale, le Canada est l'un des plus grands exportateurs du monde pour ce qui est des drogues de synthèses, comme l'ecstasy et la méthamphétamine.

Elles sont fabriquées au pays, puis envoyées à l'étranger par bateau, par avion-cargo, avion privé ou par l'entremise des services de messagerie. Dans certains cas, des «passeurs» sont utilisés par les groupes criminalisés.

Ce n'est un secret pour personne: le Canada est un pays producteur de marijuana, et cette drogue est ensuite transportée en grandes quantités pour la revente sur le marché américain.

«Cela dit, avec les nouveaux équipements de détection, notamment au port de Montréal, on arrive à saisir des choses qu'on avait plus de mal à détecter avant», note le caporal Thibault.

À l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), on explique que les données sur les saisies frontalières ne font pas la distinction entre importation et exportation.

«En 2012, l'ASFC a fait plus de 11 000 saisies de stupéfiants à la frontière, mais cela inclut tant à l'import qu'à l'export», note la porte-parole de l'ASFC, Jacqueline Roby.

L'agence dit qu'elle lutte principalement à l'exportation contre l'expédition illicite de marchandises et de technologies contrôlées, de véhicules ou de biens volés.

Il ne faut pas conclure pour autant que les exportations de drogue sur sa personne ou dans ses bagages ne sont pas détectées par les autorités canadiennes, note le caporal Thibault.

«Parfois, les agents fouillent pour une chose en particulier et trouvent de la drogue. On peut trouver de la drogue dans de la céramique, un faux fond de chaudron, une statue, etc. Et puis, même si la personne réussit à quitter le pays, il y a toujours les douanes dans le pays d'arrivée. À la GRC, nous avons des ententes pour travailler en partenariat avec les autorités ailleurs dans le monde.»