La Faculté de médecine de l'Université de Montréal (UdeM) peut faire davantage pour éviter que ses étudiants « glissent lentement et solitairement dans un cul-de-sac plein de désespoir », comme ce fut le cas d'Émilie Marchand, conclut le coroner Jean Brochu au terme de son enquête sur le suicide de cette étudiante en médecine.

La résidente en médecine interne de 27 ans a mis fin à ses jours en novembre 2014. À l'époque, La Presse avait révélé les circonstances de sa mort et mis en lumière la détresse de nombreux étudiants en médecine au Québec. La mère de la jeune femme nous avait alors confié que « ses études en médecine l'avaient tuée ».

« Ses proches et les amis qui la connaissaient bien sont d'avis que parmi les éléments pouvant expliquer son passage à l'acte figurent les difficultés rencontrées dans les stages de sa résidence, imbriquées dans ses propres problèmes de santé mentale », confirme le coroner Brochu dans son rapport rendu public hier.

La jeune femme avait reçu un diagnostic de trouble de la personnalité, en plus de vivre des épisodes de dépression majeure qui avaient nécessité à au moins deux reprises une hospitalisation. « Elle poursuivait malgré tout ses études en médecine et en était à sa troisième année de résidence en médecine interne », note le coroner. Lorsqu'elle s'est donné la mort, elle venait de terminer un stage éprouvant aux soins intensifs.

Recommandations

Dans son rapport d'enquête, le coroner Brochu recommande à l'UdeM de poursuivre et d'intensifier ses efforts dans le but d'améliorer le soutien aux résidents qui vivent des difficultés durant leur formation.

Le coroner suggère à l'établissement de mettre en place une formation spécifique destinée à ses employés leur permettant de réagir « de manière efficace, de détecter de façon précoce et de référer rapidement vers les ressources appropriées un étudiant présentant un problème de santé mentale ».

Le coroner Brochu reprend plusieurs conclusions de l'ombudsman de l'Université de Montréal Pascale Descary, qui avait elle-même enquêté sur la détresse psychologique des étudiants en médecine après le suicide d'une étudiante en 2011. La famille de cette étudiante - tout comme celle d'Émilie Marchand - estimait que « les responsables facultaires avaient contribué, par leurs approches et leurs lacunes en termes d'accompagnement et de soutien », à la mort de la jeune femme.

Dans son rapport rendu public au printemps dernier, l'ombudsman demandait à la Faculté de médecine d'agir pour « que cessent les pratiques ou attitudes inappropriées de harcèlement ou d'intimidation se manifestant, parfois de manière récurrente et bien enracinée, chez certains membres de sa communauté et dans certains milieux ».

L'ombudsman notait par exemple que certains résidents rapportent encore « trop souvent » que leur évaluation « se déroule dans un climat de tensions et de manque de respect ».

Aujourd'hui, le coroner Brochu insiste auprès de l'UdeM pour qu'elle rappelle annuellement aux résidents, aux professeurs et superviseurs de stage ce qui constitue du harcèlement psychologique, de l'intimidation et de la stigmatisation ainsi que les moyens pour éviter qu'ils ne surviennent.

Au péril de sa santé

« La réalité des médecins-résidents est d'autant plus difficile qu'ils cumulent plusieurs rôles et responsabilités et que cette transition vers leur carrière professionnelle ne se déroule pas toujours de manière harmonieuse, a écrit l'ombudsman Descary. Les études médicales postdoctorales sont empreintes de la culture bien enracinée de la super performance, qui prévaut également chez les médecins en pratique, où tacitement, on exige du professionnel qu'il soit au service de ses patients, de ses confrères et consoeurs, s'oubliant totalement, faisant fi de ses propres besoins et difficultés, parfois au péril de son équilibre et de sa santé. »

Dès l'arrivée d'une nouvelle cohorte d'étudiants en première année de médecine, et ce, tout au cours des études prédoctorales, l'UdeM doit poursuivre ses efforts de sensibilisation aux difficultés inhérentes aux études médicales, poursuit le coroner Brochu, faisant encore une fois écho aux conclusions de l'ombudsman de l'UdeM.

Des services et du soutien sont offerts à l'intention des résidents qui vivent des difficultés, mais « les autorités de la Faculté de médecine doivent continuer de s'interroger sur les changements qui pourraient être apportés », insiste le coroner.

De nombreux résidents craignent que la confidentialité ne soit pas respectée s'ils confient leur détresse à leur faculté, affirme le coroner. Il semble que ce fut le cas pour Émilie Marchand.

Un plan d'action

De son côté, l'UdeM affirme avoir élaboré un plan d'action dès l'été dernier pour appliquer les recommandations de son ombudsman. « La santé mentale est au coeur de nos priorités », souligne le porte-parole de l'établissement, Mathieu Fillion.

Cet automne, l'UdeM a ainsi ajouté à son programme de médecine des rencontres mensuelles entre résidents durant lesquelles ils peuvent échanger sur leurs difficultés scolaires et personnelles sans craindre que ce soit noté à leur dossier. Autre mesure récente : les résidents qui reviennent d'une absence de maladie peuvent désormais se prévaloir d'un retour progressif au travail.

Le coroner Brochu suggère que des mesures « encore plus accommodantes » soient implantées. Il donne l'exemple de l'Angleterre, où la plupart des facultés de médecine permettent aux étudiants de poursuivre leur cheminement scolaire à temps partiel.

Les personnes en détresse peuvent demander de l'aide en appelant l'Association québécoise de prévention du suicide au 1 866 277-3553.

Photo fournie par la famille

Émilie Marchand, résidente en médecine interne de 27 ans, a mis fin à ses jours en novembre 2014 après un stage éprouvant aux soins intensifs.