Une opération Mister Big est une méthode d'enquête sophistiquée visant à faire croire à un suspect qu'il est en voie de se joindre à un groupe criminel, le tout afin de lui soutirer une confession. Des agents doubles mettent en confiance l'individu visé en le faisant participer à quelques dizaines de délits avant de le présenter au recruteur et patron de l'organisation, lui aussi un agent double. À la clé: une intégration en bonne et due forme dans le groupe criminel. Pendant l'entrevue d'embauche, le patron demande au suspect de lui avouer tout son passé criminel afin de pouvoir le protéger de la police. Enregistrée à l'aide d'une caméra cachée, cette confession servira à accuser l'individu.

Des cas célèbres

Sebastian Burns et Atif Rafay

L'une des premières opérations Mister Big mises sur pied par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) visait deux jeunes hommes - Sebastian Burns et Atif Rafay - soupçonnés d'avoir massacré trois membres de la famille de ce dernier, en 1994. La confession de Burns à un policier interprétant un caïd a mené à leur condamnation pour meurtre, dix ans plus tard. Encore aujourd'hui, ils continuent à clamer leur innocence et à faire valoir que leur confession n'était qu'une invention pour impressionner un individu qui les intimidait.

Procès d'Alain Perreault

Les images d'Alain Perreault qui raconte avoir «étranglé» Lyne Massicotte dans son logement de Québec après avoir fumé du cannabis avec elle ont fait le tour des ondes en 2011. L'homme était demeuré le suspect principal depuis la disparition de la femme, en juillet 2003. Au tournant de la décennie, des agents doubles l'ont fait passer à travers plusieurs dizaines de scénarios avant de lui demander une confession sur le meurtre de Lyne Massicotte. M. Perreault a été condamné à la prison à vie, avant que la Cour d'appel ne confirme le verdict.

Procès d'Éric Daudelin

En mars dernier, Éric Daudelin a été condamné à la prison à vie pour le meurtre de la petite Joleil Campeau, survenu 19 ans plus tôt. Ce dossier insoluble est remonté à la surface en 2009, alors que la police déclenchait une opération Mister Big pour piéger Daudelin, soupçonné depuis le début. Après 45 missions accomplies pour le groupe criminel fictif, il est finalement passé aux aveux devant le patron de l'organisation, un agent double déguisé en gangster.

Procès de Gilles Chagnon

«Je lui ai mis trois balles dans la tête», a confié Gilles Chagnon à un policier déguisé en patron d'une prospère organisation criminelle. C'était en 2006, 13 ans après le meurtre de Danielle Boucher. Dans une chambre de l'hôtel Reine Elizabeth, Chagnon croyait devoir confesser son passé afin de permettre d'effacer toute trace de ses crimes. Dans les mois précédents, il avait accompli diverses tâches, dont le transport de valises remplies d'argent. Au final, Chagnon a avoué avoir pris part à trois meurtres, mais n'a été condamné que pour celui de Danielle Boucher.

Des opposants

Des avocats qui ont dû se battre contre des opérations Mister Big:

«Ça reprend les inquiétudes que les avocats de la défense émettent depuis 10 à 15 ans. La Cour suprême constate que la méthode d'enquête comporte des dangers: il peut y avoir des débordements qui font que les confessions qu'on obtient le sont dans des conditions qui ne sont pas acceptables au chapitre des règles qu'on s'est données au Canada quant aux relations entre policiers et citoyens.»

- Marc Labelle

«J'ai des dossiers pendants de Mister Big, alors vous vous doutez que j'avais des clients qui étaient assez excités de voir ce que serait la suite des événements. Pour moi, c'est une très bonne nouvelle. C'est assez majeur [...]. Le ministre fédéral de la Justice [qui a le pouvoir d'ordonner de nouveaux procès] doit prendre acte de ce qui a été décidé par la Cour suprême aujourd'hui [hier].»

- Martin Latour

Une opération Mister Big «fait plus que teinter l'image de l'accusé. Ça la peinture à trois couches avec une peinture à l'huile indélébile. Même avec un puissant décapant, tu ne peux pas enlever ça de l'esprit du jury. [...] Je suis content de la décision. Évidemment, j'aurais aimé ça qu'on dise simplement "non"» à ces opérations.

- Marcel Guérin