La Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics donne à l'UPAC un pouvoir discrétionnaire de vie ou de mort sur les entreprises qui veulent brasser des affaires avec le gouvernement, sur la seule foi de soupçons et de ouï-dire. Voilà ce que prétend BP Asphalte dans une requête en révision judiciaire déposée devant la Cour supérieure, après qu'elle s'est vu refuser l'accès aux marchés publics.

Le couperet est tombé le 11 mars pour BP Asphalte, qui a été prévenue la semaine dernière qu'elle ne peut plus désormais soumissionner sur quelque contrat d'asphaltage ou de coulage de béton que ce soit. C'est l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui lui a communiqué la décision, mais dans les faits, c'est le travail de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) qui a dicté la décision. Selon la loi, l'AMF émet ou non les autorisations sur la recommandation de l'UPAC, qui fait enquête sur les propriétaires, actionnaires et administrateurs des entreprises.

Du coup, BP Asphalte fait valoir que c'est l'UPAC qui tient les rênes, ce qui tend à conforter l'idée que la police et l'État ne font qu'un. «L'AMF n'est qu'un pantin au service de l'UPAC», a affirmé hier à La Presse Me Michel Savonitto, qui représente BP Asphalte.

Borsellino, un «cancer»

Me Savonitto explique dans la requête que l'AMF avait exigé que le dirigeant de BP Asphalte, Giuseppe Borsellino, soit écarté complètement puisqu'il était décrit comme un «cancer». On acceptait toutefois que M. Borsellino et son épouse demeurent propriétaires de l'édifice qui abrite BP Asphalte. L'entreprise s'est pliée à cette condition en présentant un plan de réorganisation: les fils de M. Borsellino, Antonio et Filippo, prendraient la relève, un code d'éthique serait adopté et le conseil d'administration ouvrirait ses portes à des personnes indépendantes et à l'intégrité avérée.

Mais dans les jours qui ont suivi, l'AMF a fait volte-face parce que l'entente «accrochait au niveau de l'UPAC», peut-on lire dans la requête. La conduite de l'AMF, «sa décision et son pouvoir étaient totalement dictés par un tiers, en l'occurrence l'UPAC», ajoute-t-on.

La requête indique que selon l'UPAC, les fils Borsellino posaient des «problèmes» tout autant que leur père. Giuseppe Borsellino (à ne pas confondre avec l'ex-président de Construction Garnier et celui qui dirige le Groupe Petra) serait lié à la mafia italienne montréalaise, selon les informations issues de l'enquête antimafia de la GRC (Colisée) ainsi que des témoignages entendus à la commission Charbonneau.

M. Borsellino, qui, tout comme ses homonymes, était originaire de Cattolica, un village de Sicile, et qui fréquentait le quartier général de la mafia, le café Consensa, a été décrit comme faisant partie d'un cartel de trottoirs qui contrôlait les contrats de la Ville de Montréal. Il aurait également fait du financement politique occulte. Dans la requête, M. Borsellino rejette ces allégations.

«Preuve souple»

«On ne peut pas dire que parce que l'enquête Colisée existe, des gens sont coupables. Quant à la commission Charbonneau, ce n'est pas la dénigrer que de dire que l'administration de la preuve est souple. En bout de ligne, n'importe quel bobard peut en sortir», indique Me Savonitto.

Ainsi, BP Asphalte estime que «la preuve est extrêmement faible, vague et imprécise».

De la même façon, l'entreprise soutient que les fils Borsellino ne peuvent être un frein pour obtenir la certification de l'AMF. Les soupçons de la police à l'égard de Giuseppe Borsellino ne permettent pas de les décrire comme des «filous», croit Me Savonitto.

Borsellino, le «tyrannique»

Ce dernier soutient, par ailleurs, qu'Antonio et Filippo Borsellino ne portaient que le titre «symbolique» de dirigeants. Dans les faits, il s'agit de travailleurs manuels au sein de l'entreprise (l'un est opérateur de machinerie lourde, l'autre ouvrier dans la confection de trottoirs), précise la requête.

Le document souligne également qu'il y avait «une lutte de pouvoir» entre les fils et M. Borsellino, qui assurait un «contrôle quasi absolu et tyrannique» sur la gestion de l'entreprise. On note que Giuseppe Borsellino, qui est «une personne exigeante et absolue», prenait «les décisions de manière autocratique».

La démonstration de Me Savonitto se conclut par une demande visant à faire déclarer par la Cour supérieure la nullité de la décision de l'AMF.

Une autre entreprise de construction, Bentech, conteste également la décision de l'AMF la concernant devant les tribunaux.