Parmi les meurtres commis la semaine du 12 novembre à Montréal, certains s'inscriraient dans une vaste partie d'échecs au sein du crime organisé montréalais. Dans la pègre comme dans ce jeu stratégique, il faut savoir abattre les pions avant de s'approcher des pièces plus importantes.

C'est en ces termes imagés qu'une source bien au fait de ces enquêtes expose l'hypothèse des enquêteurs au sujet de ces meurtres.

La dernière victime en date est la plus importante.

Mohamed Awada a été abattu presque devant chez lui, rue Leblanc, à Montréal-Nord, dans la nuit du

17 novembre.

Condamné à neuf ans de pénitencier pour trafic d'héroïne dans les années 90, accusé d'avoir participé à l'enlèvement du mafieux Nino de Bartolomeis en 2008, il a été libéré de cette dernière accusation après que de Bartolomeis eut modifié sa version des faits. Seul son coaccusé Salvatore Scoppa avait été condamné, à 20 000$ d'amende pour complot. Awada était aussi en attente d'un procès pour trafic de drogue.

Selon notre source, Awada est un homme de main qui a joué sur plus d'un tableau. Il aurait déjà été associé au camp de Raynald Desjardins, mais ce ne serait plus le cas. «Son champ d'activité, c'était l'intimidation, les "jobs de rotule", l'extorsion, pour les criminels italiens, un peu comme Ducarme Joseph dans un autre territoire», décrit notre source.

Il a pu nouer des liens avec Giuseppe De Vito, autre mafieux notoire détenu à la suite de l'opération Colisée, en 2006. Il a aussi pu se lier avec Salvatore Scoppa, lequel, selon plusieurs sources, a le monopole du trafic d'héroïne sur le boulevard Saint-Laurent, dans le nord et le nord-est de Montréal. C'est d'ailleurs dans ce secteur qu'a été abattu Tony Gensale, le jeudi 15 novembre en après-midi. Il quittait le gymnase où il pratique le taekwondo, boulevard Saint-Laurent près de la rue Sauriol, quand il a été atteint de plusieurs projectiles.

«Gensale n'était pas un joueur d'impact, ça semble être une affaire de territoire. Il était devenu gênant. C'est le territoire de Salvatore Scoppa», rappelle notre informateur.

Selon lui, des meurtres comme celui d'Awada peuvent être commis de façon «préventive». C'est-à-dire par une faction adverse qui souhaite éliminer des éléments susceptibles de riposter à une attaque contre un membre plus important de son clan.

«C'est comme aux échecs. Avant d'atteindre la reine, le roi, on doit éliminer des pions», illustre notre interlocuteur.

Le retour au pays de Vito Rizzuto après quelques années de détention aux États-Unis pourrait ne pas être étranger à cette agitation.

«Ce n'est pas forcément lui qui donne le feu vert, mais il peut par contre laisser prendre des décisions à des subalternes, leur dire "tu sais ce que tu as à faire"», analyse notre source.

Une autre source explique que, «dans la mafia, ça a toujours bougé. Même si on n'aimait pas les gens avec qui on faisait affaire ou à qui on devait payer des taxes, l'ordre établi garantissait que tout le monde avait sa part du gâteau et que les affaires roulent. Le positionnement est en train de se refaire, les pions se placent et les indésirables se font écarter. Il y a un besoin de reprendre le monopole de la vente de stupéfiants».

Pour en revenir à Scoppa, il est le frère d'Andrew Scoppa, avec qui il a eu plusieurs différends dans le passé. Andrew règne sur Parc-Extension et l'avenue du Parc, selon les enquêteurs. C'est peut-être lui qui a été visé lors d'un récent incendie criminel au centre de conditionnement physique Kardiologik, sur le boulevard Saint-Laurent près de la rue Jean-Talon, qu'il fréquenterait assidûment et dont il est peut-être le vrai propriétaire, selon les mêmes sources.

Dans la preuve amassée au cours de l'enquête Colisée, on a appris que, dans un conflit territorial qui l'opposait à un membre des Hells Angels, le puissant bras droit de Rizzuto, Francesco Arcadi, avait décidé de le soutenir.

Mais il pourrait ne plus être dans d'aussi bonnes grâces aux yeux du clan Rizzuto.

«Les prochains mois vont nous en dire beaucoup sur Scoppa. Il fait partie des gens qu'on aurait aimé voir défendre la famille en l'absence de Vito Rizzuto. Les attentes étaient élevées et Vito n'est pas content. Comme dans le cas de Di Maulo», conclut notre source.