Une plainte déposée devant le commissaire à la déontologie policière du Québec a six fois plus de chance d'être rejetée que de donner lieu à une enquête, selon de nouvelles données obtenues par La Presse Canadienne.

En 2010-2011, 1078 plaintes ont été rejetées par le commissaire à la déontologie policière, alors que 177 ont donné lieu à l'ouverture d'une enquête, sur les 1916 plaintes traitées pendant cette période. Ces données seront publiées dans le prochain rapport de gestion du commissaire.

Ces statistiques lancent une nouvelle torpille dans la crédibilité du processus de déontologie policière, déjà mis à mal par les remises en question des enquêtes policières qui portent sur d'autres corps policiers, selon des groupes de défense des droits civils.

Les citoyens croient que les dés sont pipés d'avance pour protéger les policiers, et ils n'ont pas nécessairement tort, a affirmé Nicole Fillion, coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés du Québec. Elle a qualifié les données de très «questionnantes» au cours d'une entrevue téléphonique.

«Ce n'est pas très attirant de porter plainte», a-t-elle fait valoir. Dans certains quartiers, les plaignants craignent les représailles, a-t-elle donné en exemple.

«On peut penser raisonnablement que les gens qui portent plainte, il doit y en avoir au moins une bonne partie qui mériteraient qu'on aille un peu plus loin pour chercher la vérité».

Après un examen préliminaire d'au plus 45 jours, chaque plainte est refusée ou donne lieu à l'ouverture d'une enquête en profondeur.

Quelque 661 plaintes prennent plutôt le chemin de la conciliation, où le plaignant rencontre le policier qu'il accuse d'avoir violé son code de déontologie. De ce nombre, plus du tiers des rencontres échouent.

Ces exercices de conciliation ne signifient pas que les policiers impliqués sont blancs comme neige.

Le commissaire juge simplement que les faits présumés ne sont pas d'intérêt public. Lorsqu'un citoyen accuse un policier d'avoir été irrespectueux à son endroit, par exemple, le dossier sera envoyé en conciliation, a expliqué Louise Letarte, porte-parole du commissaire.

«Il peut avoir eu un manquement (à la déontologie), il peut ne pas y en avoir eu, mais il y a quand même un litige qui mérite d'être examiné et d'être éclairci», explique Mme Letarte.

Ces exercices de conciliation ne peuvent donner lieu à des sanctions. Ils se terminent souvent par des excuses ou des explications.

Et le passage devant le commissaire à la déontologie policière n'est que la première étape à travers laquelle une plainte contre un policier doit passer: son pouvoir se limite à transférer un dossier devant le comité de déontologie policière du Québec, qui lui seul peut décider de sanctions professionnelles.

Selon Mme Fillion, de la Ligue des droits et libertés, c'est l'ensemble du processus de reddition de comptes des policiers qui doit être revu. À son avis, le public n'arrive simplement pas à faire confiance à des anciens acteurs du milieu policier pour enquêter sur des plaintes visant les forces de l'ordre.

«De moins en moins de personnes portent plainte. Ils ne font pas confiance à ce processus. La participation de la société civile n'est pas là», a avancé Mme Fillion.

Le ministère de la Sécurité publique, auquel est lié le commissaire à la déontologie policière, est aussi le «ministère de la police», rappelle Mme Fillion. La Sûreté du Québec est directement sous sa responsabilité et les autres corps policiers sont encadrés par ce ministère.

«C'est important d'avoir un bon système de déontologie policière compte tenu des pouvoirs que nos policiers exercent dans la société. Ils ont des pouvoirs immenses, dont le droit de recourir à la force», a-t-elle expliqué.

Un porte-parole de Robert Dutil, ministre de la Sécurité publique, a reconnu en entrevue que le total des refus opposés aux citoyens qui se plaignent «peut paraître élevé». Ce n'est toutefois pas une raison de s'empêcher de porter plainte, selon Mathieu St-Pierre.

Le porte-parole avance du même souffle que les Québécois font toujours confiance au système de déontologie policière pour défendre leurs droits.

«Peu importe les chiffres, on invite les citoyens qui se sentent lésés lors d'une opération policière à ne pas hésiter à dénoncer auprès du commissaire à la déontologie policière, il est là pour ça», a-t-il affirmé.

«Moi je crois qu'ils ont confiance.»

La possibilité pour les citoyens de porter plainte par Internet leur facilite la vie, fait aussi valoir M. St-Pierre.

«L'accessibilité et la confiance, je crois qu'elles sont plus que jamais présentes.»

Même son de cloche chez le commissaire à la déontologie policière. Mme Letarte affirme que le nombre de refus ne dissuade personne de déposer une plainte.

«Je pense que si les gens estiment qu'ils doivent porter plainte, ils vont venir porter plainte. C'est pas une question de statistiques, ce n'est une question de croire à la plainte qu'on veut soumettre», a-t-elle expliqué.