«À la mémoire de Mario Hamel, tué par le SPVM le 7 juin 2011 pour saccage de poubelles.» C'est ce qu'on peut lire sur une affiche placardée mercredi sur un lampadaire à l'angle des rues Saint-Denis et Christin, à l'endroit même où a éclaté la veille une fusillade mortelle impliquant des policiers et durant laquelle deux hommes ont péri.

Une autre affiche a été posée de l'autre côté de la rue, près de l'endroit où s'est effondré Patrick Limoges, l'employé de l'hôpital Saint-Luc abattu par une balle perdue en se rendant tranquillement au travail.

Malgré ces événements tragiques, la vie suivait son cours au centre-ville mercredi matin. Un bouchon de circulation s'étirait sur la rue Saint-Denis, là où les policiers ont ouvert le feu la veille.

Vers midi, plusieurs confrères de Patrick Limoges, technicien en ventilation de 36 ans, ont marché les quelques mètres qui séparent leur lieu de travail de la scène du drame, pour rendre hommage à la victime innocente de cette tragédie. Des gerbes de fleurs ont été déposées sur le trottoir, à l'endroit où la vie de M. Limoges s'est brusquement arrêtée. «On est ici aujourd'hui pour exprimer ce qu'on ressent. Pour beaucoup, c'est de la rage, d'autres de la peine. Où que tu sois Patrick, j'espère que tu seras bien. La seule chose qu'on peut dire c'est au revoir!», a lancé Gilles Girard, représentant syndical des employés de l'hôpital. Ces derniers ont ensuite observé une minute de silence à la mémoire de leur collègue disparu, décrit comme un homme tranquille, vaillant et extrêmement compétent.

Plusieurs employés s'enlaçaient, encore secoués par le dénouement funeste d'un simple trajet vers le travail. Avant d'être fauché, Patrick Limoges, célibataire et sans enfant, venait de sortir du métro et marchait sur le trottoir avec une collègue. Cette dernière s'est réfugiée dans un restaurant lorsque les coups de feu ont retenti. Gilles Girard ne cache pas que les événements et la mort gratuite de M. Limoges suscitent beaucoup de colère et de frustration chez les employés. «Est-ce que les policiers auraient pu faire autre chose que sortir leur pistolet et tirer sur un individu en détresse?», s'est interrogé Gilles Girard. Ce dernier se demande si la formation des policiers est adéquate pour faire face à la clientèle particulière, souvent aux prises avec des problèmes de santé mentale, qui pullulent au centre-ville. «Est-ce que c'est une erreur policière? C'est pas à nous de le dire»,  a ajouté M. Girard. «Il manque peut-être de formation ou les policiers vivent trop de stress», a avancé pour sa part Antoine Bilodeau, un brancardier du CHUM.

Mais cet ami proche de Mario Hamel, l'autre homme abattu par les policiers, ne mâche pas ses mots: une bavure policière explique le drame. «Les policiers étaient quatre contre un. Quatre fusils contre un couteau. Ils auraient pu utiliser un taser ou du gaz poivre avant de tirer sur un gars en psychose!», peste Jean-Luc, qui connait Mario Hamel depuis longtemps. «Il était super tranquille, fumait son petit joint et ne buvait même pas de bière», souligne Jean-Luc, révolté par le profilage policier envers les marginaux du secteur.

De simples badauds, touchés par les événements, sont également venus se recueillir sur les lieux du drame. Dellat Mallet est venue déposer un bouquet de marguerites. «Pour toi Patrick...», a-t-elle dit à voix haute. La dame ne connaissait pourtant pas les victimes de la fusillade. «C'était sûrement un pauvre homme, qui était malade», a indiqué Mme Mallet, au sujet de Mario Hamel.



Pour l'heure, la Sûreté du Québec poursuit son enquête pour reconstituer les événements de la veille. Tout avait débuté vers 6h40 lorsque M. Hamel, armé d'un couteau a été aperçu rue Sainte-Catherine en train d'éventrer des sacs à ordures devant plusieurs commerces. Tout juste avant, M. Hamel, qui habite une maison de chambres rue De Bullion, aurait tenté d'emprunter le camion d'un voisin pour rendre visite à ses trois enfants. Le voisin aurait refusé et M. Hamel aurait alors explosé, avant de crever un pneu du camion et de pourchasser son propriétaire avec son couteau militaire. Selon nos informations, c'est le propriétaire du camion qui aurait alerté les autorités.

Les choses ont vite dégénéré à l'arrivée des policiers, dont le poste de quartier se trouve tout près, rue Sainte-Élisabeth. Ils auraient tenté de raisonner l'homme, en vain. Le suspect, Mario Hamel, était «connu» des policiers. Ceux qui ont pris part à l'intervention le connaissait et lui auraient demandé à plusieurs reprises de lâcher son couteau, ont rapporté des sources. Selon d'autres informations, M. Hamel aurait foncé sur un policier qui s'était avancé vers lui. Trois policiers auraient alors répliqué en ouvrant le feu en la direction de M. Hamel, qui se trouvait alors en pleine rue Saint-Denis. L'individu s'est écroulé, vraisemblablement atteint à la tête. Au même moment, à une vingtaine de mètres de là, de l'autre côté de la rue, l'autre victime s'est effondrée. Au total, trois coups de feu auraient été tirés.

Les enquêteurs devront déterminer d'où provenait la balle qui a atteint le passant. L'autopsie et l'analyse balistique devraient permettre de savoir si elle a traversé le sans-abri, passé à côté de lui, ou encore si elle a fait un ricochet. Un cycliste aurait également été témoin de la scène, puisqu'un BIXI se trouvait en plein coeur de la scène policière, à côté d'une mare de sang.

L'incident d'hier porte à huit le nombre de fois que des policiers ont eu recours à leur arme de service au Québec en 2011, dont quatre dans la même semaine au mois de mars. Ces incidents (quatre à Montréal, un à Laval, un à Terrebonne, un à Saint-Rémi et un à Amos) se sont soldés jusqu'à maintenant par la mort de quatre hommes.