Après avoir aiguillé le médecin de l'urgence sur une fausse piste quant à ce qu'il avait consommé pour tenter de se suicider, le 21 février 2009, Guy Turcotte a négocié pour obtenir les résultats de ses tests médicaux.

«Je vais te le dire [ce qu'il avait pris], si tu me donnes mes résultats», a-t-il dit à la Dre Marie-Pierre Chartrand.C'est ce que la Dre Chartrand a raconté, mardi, alors qu'elle témoignait au procès de Guy Turcotte, ce cardiologue accusé des meurtres prémédités de ses deux enfants.

Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans, ont été poignardés entre le 20 et le 21 février 2009 dans la maison que leur père louait depuis sa séparation de la mère des petits, Isabelle Gaston, un mois auparavant. La Dre Chartrand, une jeune médecin qui est en début de grossesse actuellement, travaille à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme depuis 2007.

Elle était de garde à l'urgence, le 21 février 2009, quand elle a appris, un peu avant midi, qu'un homme intoxiqué qui avait tué ses enfants s'en venait en ambulance à l'urgence. Elle a fait préparer la salle de réanimation, une des rares salles fermées qui dispose des appareils de monitoring, a-t-elle dit. Quand le patient est arrivé dans la salle, tout le monde a été estomaqué, en voyant qu'il s'agissait de leur collègue, le Dr Guy Turcotte. «On a tous eu un moment de déni. On se disait: ça ne peut pas être lui, ça ne peut pas être lui», a expliqué la Dre Chartrand, avant d'ajouter qu'elle s'était même demandé si le Dr Turcotte avait un jumeau, tant cela paraissait impossible. Mais c'était bien lui sur la civière. Il avait des vomissures autour de la bouche, les mains pleines de sang séché, et du sang sur ses pantalons bleus. Après ce moment de stupeur, le personnel a décidé de faire abstraction de ce qui s'était passé, pour se consacrer aux soins à apporter au patient, a expliqué la Dre Chartrand. M. Turcotte était éveillé, avait l'air fatigué mais répondait aux questions. Elle lui a accordé un 15 sur 15 sur l'échelle de Glasgow, donc il était alerte.

La Dre Chartrand lui a demandé ce qu'il avait pris. Il lui a dit des Tylenol, en quantité inconnue, vers 4h du matin. Il n'avait rien pris d'autre, assurait-il. La Dre Chartrand a entrepris de faire passer différents tests au patient, dont un bilan sanguin, comprenant un test de «gaz capillaires». Mais M. Turcotte lui a dit que ce test était inutile, étant donné qu'il avait pris du Tylenol. «Tu fais ça pour rien», lui a-t-il dit. En fait, ce test a permis à la Dre Chartrand de découvrir que M. Turcotte n'avait pas pris des Tylenol. «On se méfie toujours de ce que les patients suicidaires nous disent. Ils ne sont pas toujours honnêtes avec nous.»

Termes médicaux

Quand la Dre Chartrand est retournée voir M. Turcotte vers 14h15, pour le confronter avec le résultat du test, il a négocié. En retour du résultat de ses tests, il avouerait ce qu'il avait pris. Il voulait connaître le pH de son sang, et ses « bic » pour bicarbonates. Ils se parlaient en termes médicaux, a précisé la Dre Chartrand, hier. Elle lui a donné le résultat de ses tests. Le résultat n'était pas normal, mais pas catastrophique non plus. La normale du pH se situe entre 7.35 et 7.45, il affichait 7.27. En bas de 7, la vie du patient est en danger, a expliqué la Dre Chartrand, mardi.

Quoi qu'il en soit, en apprenant ses résultats, M. Turcotte s'est mis à pleurer. Il a avoué qu'il avait bu deux litres de lave-glace, la veille, vers 20h. Cet aveu a permis à la Dre Chartrand d'entreprendre un traitement, notamment à l'éthanol. C'est de l'alcool pur dilué dans une perfusion, ce qui a pour effet d'aider à neutraliser l'effet néfaste du méthanol contenu dans le lave-glace.

La Dre Chartrand avait rencontré deux cas de tentative de suicide au lave-glace dans sa jeune carrière auparavant, pendant sa résidence, à Québec, entre 2005 et 2007. Ce n'est pas courant, a-t-elle dit, mardi. Pendant cet après-midi-là, M. Turcotte a souvent pleuré, a menacé de tout arracher (les fils), ne voulait pas qu'on le traite, il était même prêt à signer un refus de traitement. Il voulait mourir. Il disait qu'il avait manqué son suicide. Il a vomi, avoué avoir tué ses enfants, répété que c'était dégueulasse, ce qu'il avait fait. «C'est effrayant, ce que j'ai fait à mes enfants.» Il a hurlé, était agité, s'est excusé de faire vivre ça à ses collègues. Il a dit qu'il était un bon père pour ses enfants, qu'il avait tout fait pour eux, qu'il les aimait, et aimait jouer dehors avec eux.

«Je n'aurais jamais dû tuer mes enfants.» Il a aussi parlé d'Isabelle Gaston. «C'est une bitch. Elle est trop méchante. Ça fait un mois que je suis parti, et il (on suppose que c'est le nouvel amoureux) couche là tous les soirs.» Il ne voulait pas être transféré d'hôpital, car il croyait qu'il avait plus de chances de mourir à Saint-Jérôme.

Pas de psychose

Guy Turcotte n'était clairement pas en état de psychose, aux yeux de la Dre Chartrand. Il était en détresse car il réalisait ce qu'il avait fait, mais il était tout à fait dans la réalité, selon elle. La seule chose «étonnante» qu'il a dite, c'est que son fils avait 10 ans, alors qu'il en avait 5. «C'est la seule incohérence», a signalé la Dre Chartrand.

Sans poser de diagnostic, cette dernière a parlé de trouble d'adaptation avec humeur dépressive. «C'est très, très fréquent, plus fréquent que la dépression, a-t-elle dit. Ça ressemble à la dépression, mais ça dure moins longtemps et c'est dû à un déclencheur particulier, par exemple un deuil ou une séparation.» Une policière de la Sûreté du Québec, Caroline Thibault, a ensuite été appelée à la barre.

Elle a accompagné Guy Turcotte dans l'ambulance et l'a gardé dans la salle de réanimation de l'hôpital, le 21 février 2009. Elle notait tout ce qu'il disait. Très nerveuse, hier, elle avait du mal à se rappeler des détails de l'événement, sans avoir recours à ses notes. Le procès se poursuit aujourd'hui.

Rappelons que M. Turcotte, 39 ans maintenant, a admis avoir tué ses enfants. L'enjeu sera de déterminer dans quel état d'esprit il était, quand il l'a fait. Son ex-conjointe, Isabelle Gaston, était médecin au même hôpital, et ils s'étaient séparés environ un mois auparavant.