«On manque cruellement d'intervenants. S'ils quittent leur emploi à la suite de calomnies, tout le monde est perdant: eux, la société et les enfants.»

Pour Jon Bradley, professeur à la faculté d'éducation de l'Université McGill, on est passé d'un extrême à l'autre en matière d'agressions sexuelles. «On doit protéger les jeunes sans tenir pour acquis que tous les enfants disent vrai. Les agressions atroces du passé ne doivent pas nous faire oublier que l'adulte n'est pas systématiquement coupable», dit-il.

«On passe notre temps à voir les jeunes s'exhiber, à se faire harceler par des propositions indécentes. Ils nous menacent. Je ne comprends pas qu'on les croie plus que nous!» s'indigne justement Chloé.

Depuis quelques années, le professeur Bradley dénonce les fausses accusations dont sont souvent victimes les enseignants masculins. «Les intervenants sont encore plus vulnérables, dit-il, puisqu'ils travaillent avec une clientèle difficile qui peut vouloir se venger.»

Interrogé à ce sujet, le centre jeunesse défend son approche. D'abord, pour éviter tout conflit d'intérêts, on confie les délicats dossiers sexuels à un autre centre jeunesse et on avise d'emblée la police, indique Géhane Kamel, coordonnatrice aux relations de travail.

«Les équipes qui se consacrent aux enquêtes institutionnelles sont expérimentées. Elles en ont vu d'autres dans les CPE, dans les écoles. On se fie à leur expérience.»

D'ailleurs, on ne croit pas les jeunes à tout coup, précise Mme Kamel. «Dans plusieurs dossiers, on conclut qu'on nous a menés en bateau.»

Par contre, lorsqu'on croit le contraire, «on ne peut pas courir de risque», dit-elle. «Notre vocation est de protéger les enfants. Si ça peut arriver qu'on se trompe dans 1% des cas, j'aime mieux cette erreur-là que mettre un enfant en situation de danger.»

«La situation n'est jamais parfaite nulle part, mais l'employeur a fait de grands efforts pour s'ajuster», concède Sylvie Théorêt, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs du centre jeunesse de Montréal. «Du côté policier, il faudrait par contre que ce soit plus court, dit-elle. Quand ça dure des mois et des mois, c'est inhumain. Ta vie s'arrête.»

Pour les experts, la seule façon d'éviter les erreurs est justement de laisser toute la place à la police. Les dérapages surviennent lors des enquêtes internes, lorsque la rumeur enfle et que le jeune devient prisonnier de son histoire, explique l'expert psycholégal Hubert Van Gijseghem.

«D'abord, le jeune ne veut pas perdre la face. Puis, il finit par croire à son histoire à force de voir les adultes s'y intéresser. Ça la valide. Quand la police arrive, cela a l'air si senti qu'il est difficile de douter.»

Les enquêteurs trop zélés, les jeunes qui ont manifestement menti, les parents qui en rajoutent sur l'internet: tous doivent être sanctionnés, suggère le professeur Bradley.

«Il faut les dissuader d'agir ainsi. Pour l'instant, on voit des gens dont la réputation et la vie ont été ruinées et qui ne peuvent même pas compter sur des excuses.»