Le juge en chef de la Cour d'appel a autorisé hier les avocats de Pierre Karl Péladeau à interjeter appel du refus du juge Claude Larouche de se récuser.

Le procès en diffamation qui oppose PKP à Sylvain Lafrance, de Radio-Canada, est suspendu jusqu'à ce que la Cour d'appel rende une décision au sujet de cette récusation. L'audience sur le fond de cette requête aura lieu le 22 février.

Dans la décision qu'il a rendue hier, le juge Robert a indiqué que les motifs énoncés par Me James Woods ont réussi à le convaincre qu'un examen complet de la situation était nécessaire. Parmi les motifs soumis, le juge Robert en a retenu quatre principaux, auxquels il a joint des commentaires du juge Larouche.

1. Le juge aurait fait part de ses états d'âme au cours du procès. «Je suis bien content d'entendre cette cause, mais j'ai passé l'âge d'entendre des causes comme ça parce que c'est l'écriture qu'on doit faire après. Mais ça, ce n'est pas grave, ça va venir pareil... Mais après la réunion, là, je me suis en allé chez moi, mais le dossier, je ne l'ai pas eu tout de suite. Le lendemain, je l'ai regardé... Je n'ai pas passé la fin de semaine là-dessus.»

Même si ces commentaires ont été faits sur le ton de la blague et de l'autodérision, le juge en chef estime que ces paroles doivent être examinées avec l'ensemble des allégations.

2. Le juge aurait introduit des éléments de preuve en exhibant deux magazines. Il était sous l'impression erronée que M. Péladeau tentait d'influencer le déroulement du procès. Ses avocats ont été dans l'obligation de rouvrir leur preuve pour démontrer le contraire.

3. Le juge aurait révélé des discussions entre collègues de la Cour supérieure au sujet du choix du juge pour entendre la cause: «Je vais vous expliquer une chose assez simple. Moi, je fais partie d'une équipe, ce mois-ci, puis je n'ai pas choisi cette cause-là, moi. Ça a adonné que les autres collègues qui avaient avant moi des choix à faire, ils n'ont pas voulu la prendre... Moi, j'avais le dernier choix cette fois-ci. Puis j'ai un de mes collègues, je ne dirai pas ce qu'il m'a dit, le collègue, il ne voulait pas la prendre...»

En montrant la revue L'actualité, où l'on voit en couverture la photo de M. Péladeau et le titre «L'homme le plus redoutable du Québec», le juge s'est demandé si cela avait un rapport avec le fait que personne ne voulait de la cause. «Je me suis demandé pourquoi mes collègues n'étaient pas intéressés à prendre la cause. Peut-être c'est ça...»

4. Le juge aurait refusé un ajournement pour permettre à un avocat chevronné d'assister aux obsèques de sa soeur en Ontario.

Juge immobile

Le juge Robert a noté que le juge est en principe «immobile» dans notre système judiciaire, fortement inspiré de la tradition britannique. «Il n'a pas à rechercher des preuves que les parties ne lui présentent pas.» Il se demande aussi s'il est contraire à l'intérêt de la justice de révéler le contenu des discussions entre collègues quant au choix des dossiers à entendre. «Le secret des délibérés est clairement une garantie constitutionnelle», a noté le juge Robert.

Rappelons que, dans cette affaire, l'avocat principal de M. Péladeau reproche au juge Larouche d'avoir un parti pris contre son client et d'être hostile à ses avocats, dont lui-même. Pierre Karl Péladeau réclame 700 000$ à Sylvain Lafrance pour des déclarations qu'il a faites quand M. Péladeau a annoncé qu'il suspendait les paiements de Vidéotron au Fonds canadien de télévision, en janvier 2007. «Ce gars-là se promène comme un voyou...» avait dit M. Lafrance.