Parce qu'elle s'est assoupie à quelques reprises pendant un procès pour vol, la juge Juanita Westmoreland-Traoré, de la Cour du Québec, a accepté de se récuser la semaine dernière. Le procès de Dieter Goller devra reprendre à zéro, devant un autre juge.

C'est la procureure de la Couronne Annie Piché, qui a demandé, le 26 avril dernier, à la juge Westmoreland-Traoré de se récuser en raison de son «manque d'attention». Le mot «dormir» n'a pas été prononcé même si c'est ce qui, en filigrane, était reproché à la juge. L'avocate de la défense, Me Danièle Roy, a soutenu pour sa part qu'elle ne s'était rendu compte de rien, occupée qu'elle était à contre-interroger un témoin ou à regarder une vidéo. C'est la procureure de la Couronne qui lui a dit, lors d'une pause, que la juge «cognait des clous». Me Roy aurait voulu continuer le procès avec la juge Westmoreland-Traoré, en qui elle avait pleinement confiance. Son client, Dieter Goller, est accusé d'avoir volé deux sacs contenant un peu plus de 130 000$, le soir du 7 avril 2006, alors qu'il travaillait dans la chambre forte de Securicor, une entreprise de transport de valeurs.

 

Le procès de Goller, commencé le 13 avril dernier, devait durer 10 jours. La juge a «manqué d'attention» la première journée, alors que la Couronne présentait sa preuve au cours d'un voir-dire sur l'admissibilité d'une déclaration. Cela s'est reproduit le lendemain. Me Piché a attiré l'attention de la juge sur son «manque d'attention», que la juge a reconnu même si elle croit que ces moments d'inattention n'ont pas été très longs. Elle a alors offert de réécouter l'enregistrement des débats de la moitié de la première journée ainsi que de la moitié du deuxième jour. Les procureurs ont accepté, et c'est ce que la juge a fait. Au troisième jour du procès, la situation s'est reproduite, du moins de l'avis de la Couronne. À l'audience subséquente, le 26 avril, Me Piché a demandé à la juge de se récuser. «Je trouve cela vraiment exceptionnel», s'est étonnée la juge, qui a demandé à la procureure de lui énumérer les moments où elle croyait qu'elle avait «perdu l'attention». Comme cela demandait la révision des notes et l'assignation de témoins, la suite a été reportée au lendemain. C'est Me Thierry Nadon qui allait prendre la relève pour présenter cette requête. Il comptait assigner deux enquêteurs et Me Piché pour témoigner du manque d'attention de la magistrate. «Je ne le fais pas de gaieté de coeur», a fait valoir Me Nadon, manifestement mal à l'aise.

À la reprise de l'audience, le lendemain, la juge a décidé de se récuser sans qu'il y ait de débat. Compte tenu de la position de la Couronne, et même si elle avait l'appui de la défense, la juge estimait ne plus avoir la sérénité pour continuer. Les procureurs de la Couronne ont renvoyé La Presse à la Direction des poursuites criminelles et pénales, à Québec. La porte-parole Annie-Claude Bergeron a indiqué que l'affaire allait en rester là, puisque la juge s'était récusée. Elle a refusé d'en dire plus, signalant que la décision de la juge Westmoreland-Traoré parlait d'elle-même.

Films soporifiques

À la lumière de cet incident, le procès n'apparaît pas des plus passionnants. L'exercice, au cours duquel il faut visionner des films de mauvaise qualité provenant de caméras de surveillance, sera repris du début devant un autre juge.

Soulignons enfin que la juge Westmoreland-Traoré, première femme noire à accéder à la magistrature au Québec (en 1999), a accumulé les honneurs et les distinctions dans sa carrière, principalement en matière d'égalité et de droits et libertés. Certaines de ses décisions en tant que juge ont fait grand bruit, comme celle par laquelle elle a acquitté un jeune Noir accusé de trafic de drogue parce que, à son avis, il avait été arrêté à la suite d'un profilage racial. Elle a aussi libéré un émeutier qui avait fait du grabuge au centre-ville, au motif qu'il fallait tenir compte de ses racines amérindiennes.