Les incendies de forêt record qui ont embrasé le Québec l’été dernier ont entraîné des évacuations dans une trentaine de communautés qui, pour beaucoup, n’avaient jamais eu à affronter une telle menace. Une épreuve qu’elles ne sont pas près d’oublier.

Des décideurs sous pression

À Chapais, dans le Nord-du-Québec, les incendies de forêt ont chassé une partie de la population hors de la ville à deux reprises à la fin du printemps dernier. La mairesse, Isabelle Lessard, a dû gérer les évacuations... et l’après-crise.

« Je sais que quelque part en juillet, on n’était plus en danger, mais malgré ça, j’étais toujours en hypervigilance et en alerte. J’étais toujours hyper stressée et hyper mal », raconte Isabelle Lessard, qui dirigeait cette petite municipalité de quelque 1500 habitants.

À la mi-septembre, en proie à des cauchemars et à « l’impression que ça ne s’est comme jamais terminé », elle a reçu un diagnostic de stress post-traumatique et a été mise à l’arrêt. Près de deux mois plus tard, elle a dû admettre qu’elle avait besoin de plus de temps. La démission de celle qui, à 23 ans, était la plus jeune mairesse du Québec, a créé une onde de choc dans le monde municipal.

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Mme Lessard va aujourd’hui « beaucoup mieux ». Mais à Chapais, où 48 personnes avaient perdu la vie dans le tragique incendie du 1er janvier 1980, le « stress collectif » de l’été 2023 a laissé des traces, estime-t-elle.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Aujourd’hui, Isabelle Lessard va beaucoup mieux, mais elle estime que l’été 2023 a laissé des traces dans la population de Chapais.

« Ça ne sera peut-être pas énorme, ni tant perceptible, mais c’est sûr et certain que des gens vont avoir des craintes associées à ça. Je n’ai pas de statistiques, mais on sait qu’il y a eu des augmentations de demandes de services psychosociaux dans la région depuis les feux. »

La population ébranlée

Quand un incendie fait rage et menace d’embraser notre ville, notre chez-soi, les conséquences psychologiques ne sont pas négligeables.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, ARCHIVES LA PRESSE

Les impacts des incendies de forêt sur les personnes touchées sont importants. La population locale, comme ici à Chapais, a vécu du stress, et plusieurs citoyens ont eu des problèmes de sommeil.

Lorsque la Direction de santé publique du Nord-du-Québec a sondé sa population sur les impacts des incendies de forêt l’été dernier, près du quart (23 %) des 775 répondants avaient une perception négative de leur santé mentale (passable à mauvaise).

Les trois quarts vivaient du stress et plus de la moitié avaient des problèmes de sommeil. Plus du tiers ont signalé d’autres « atteintes à leur santé mentale » (anxiété, diminution de la concentration, tristesse/déprime ou irritabilité/colère).1

« Un incendie qui se déclare près de la maison, c’est un évènement traumatique en soi », confirme Geneviève Belleville, professeure-chercheuse à l’École de psychologie de l’Université Laval. Spécialiste du stress post-traumatique, Mme Belleville a mené des recherches sur les séquelles du gigantesque incendie de forêt de Fort McMurray, en Alberta, qui a forcé l’évacuation de près de 90 000 personnes et détruit 2400 résidences en 2016.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN PETIT

L’incendie de forêt s’est approché très près du village de Normétal à la fin du printemps 2023.

Au Québec, les villages et les résidences principales ont finalement été sauvés, mais « c’est la perception des gens, le sentiment de menace pendant l’évènement qui va avoir le plus d’impact », souligne la chercheuse.

La peur intense de perdre la vie, ou ses proches, ou sa résidence, c’est un évènement exceptionnel qui provoque une série de réactions en chaîne dans le cerveau, qui font en sorte que ces évènements s’impriment.

Geneviève Belleville, professeure-chercheuse à l’École de psychologie de l’Université Laval

Si la sensibilisation aux problèmes de santé mentale s’est un peu améliorée avec la pandémie, « il reste un long chemin à faire », dit-elle.

« Les gens vont aller beaucoup plus consulter s’ils ont des difficultés respiratoires après avoir respiré de la fumée que s’ils ont des symptômes post-traumatiques. »

1 Direction de santé publique du Nord-du-Québec, Présentation des résultats du sondage à la population jamésienne sur les impacts des incendies de forêt, 23 octobre 2023.

Des pompiers « à vif »

Avec la saison record vécue l’été dernier, de nombreux pompiers urbains se sont retrouvés à travailler en appui à la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU). Des journées de 10 à 12 heures entrecoupées d’un sommeil peu réparateur, à des températures élevées et à la merci des vents changeants, rappelle Richard Amnotte, directeur adjoint du Service de sécurité incendie de Lévis et porte-parole québécois d’Objectif résilience, un programme pour la santé mentale des pompiers.

Les pompiers volontaires des municipalités menacées ont subi des stress supplémentaires, puisqu’en plus de « leur mission de pompier de protéger la ville », ils devaient aussi « protéger leur famille, leurs biens » et, dans certains cas, « rester sur leur territoire alors que leur famille était évacuée ».

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

En plus de devoir protéger leur ville, les pompiers volontaires des municipalités menacées devaient « protéger leur famille, leurs biens » et, dans certains cas, « rester sur leur territoire alors que leur famille était évacuée ».

« Un feu de maison, c’est contrôlable, on va l’avoir. Tandis que l’incendie de forêt, il nous a contrôlés deux semaines de temps », résume Jonathan Fortin, pompier volontaire depuis près de trois ans à Normétal, en Abitibi-Ouest.

À un moment, le brasier est devenu si menaçant que les pompiers volontaires eux-mêmes ont dû évacuer sur ordre de la SOPFEU.

PHOTO FOURNIE PAR JONATHAN FORTIN

Jonathan Fortin, pompier volontaire à Normétal, accompagné de Doris Nolet, directrice du service des incendies de la ville.

On était à vif, sur les nerfs. On avait peur. On s’est sentis un peu impuissants. Nous, les pompiers, quand on s’en va, le feu est éteint. On ne s’en va pas parce que le feu est là ! Être obligés de faire ça, ç’a donné un choc !

Jonathan Fortin, pompier volontaire

Par la suite, « on a été beaucoup soutenus par la population, on a été décorés, et ça s’est bien passé malgré tout », assure-t-il.

« Le plus difficile, c’est aujourd’hui : on a perdu tout notre beau paysage. On n’a plus rien autour de notre village, c’est tout brûlé. C’est ce qu’on trouve le plus difficile, tout le monde. »

En plus de 30 ans comme pompier volontaire, Gaétan Petit n’avait jamais vécu d’incendie ni d’évacuation d’une telle ampleur.

Pour un pompier urbain, « un gros feu, c’est un gros coup à donner d’une à trois heures et après, c’est fini. Là, c’était un marathon ». Après « six ou sept jours à 18 ou 19 heures par jour », les pompiers de Normétal ont demandé l’aide des services d’incendie des environs.

« Avec un post-mortem, on s’est aperçu qu’il aurait peut-être fallu le demander plus vite. »

Plus de six mois après, « moi, ça va bien », assure toutefois M. Petit.

« C’était plus inquiétant pour les gens qui étaient à l’extérieur, qui étaient évacués, parce qu’ils allaient sur les médias sociaux », explique-t-il.

PHOTO STÉPHANE GILBERT, COLLABORATION SPÉCIALE

Gaétan Petit, pompier volontaire depuis plus de 30 ans à Normétal

« À un moment, il y avait des maisons qui avaient brûlé, la moitié du village était rendu brûlé, et c’était pas vrai du tout. Il y a un chalet au lac Pajegasque, je pense qu’il a brûlé quatre fois sur les réseaux sociaux ! »

Dans de telles circonstances, les évacués doivent se fier « aux bons messages », dit-il en faisant allusion aux informations officielles qui étaient communiquées chaque soir dans sa région.

« Pas aux réseaux sociaux : c’est un facteur de stress épouvantable pour les gens quand ils sont juste là-dessus. Ç’a créé quasiment de la panique ! »

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