(Montréal et Ottawa) Alors que le gouvernement du Québec estime que le coût de décontamination du dépotoir illégal de Kanesatake « se rapproche de 100 millions de dollars », à Ottawa, le NPD réclame qu’un comité parlementaire fasse la lumière sur le « laxisme » dont aurait fait preuve le gouvernement fédéral et qui a permis que le site devienne une « véritable bombe environnementale ».

C’est le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, qui a évoqué ce coût de décontamination de 100 millions lors d’une entrevue avec La Presse, à Laval, lundi matin.

La Presse rapportait lundi que l’ancien centre de tri Recyclage G & R, de Kanesatake, autorisé en 2015 par Québec, a des brèches dans son système de captation des eaux, permettant le déversement de milliers de litres d’eau contaminée vers les ruisseaux qui se déversent dans le lac des Deux Montagnes. Différentes analyses faites par les deux gouvernements ont noté la présence d’hydrocarbures, d’amiante, de BPC, de coliformes et des « contaminants associés entre autres aux sulfures, à l’azote ammoniacal et à la bactériologie, ce qui peut nuire à l’être humain ».

Des inspecteurs de Québec et d’Ottawa ont visité l’endroit à de nombreuses occasions et exigé des améliorations. Les propriétaires, Robert et Gary Gabriel, deux Mohawks au lourd passé criminel, n’ont cependant pas mis en œuvre les plans d’étanchéification du site. Québec a révoqué le certificat d’autorisation permettant l’exploitation du centre de tri en octobre 2020. Les propriétaires s’en sont tirés, à ce jour, avec 17 883 $ d’amende.

« On parle d’un milieu extrêmement criminalisé qui, avec les années, a appris à jouer avec le système judiciaire », affirme le ministre Charette.

Ils ont mis beaucoup d’efforts à jouer avec les règles, demander des délais pour contester les avis qu’on pouvait émettre. Ça a étiré malheureusement la sauce au maximum.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

Le ministre ajoute que les autorités provinciales sont allées « au bout de [ses] capacités avec nos lois » pour forcer les propriétaires à se conformer aux règles environnementales.

Plusieurs sources affirment que de nombreuses rencontres ont eu lieu ces derniers mois, impliquant le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et le Conseil de bande de Kanesatake, pour dénouer l’impasse avec les propriétaires du site, mais la situation demeure au statu quo.

Le ministre Charette estime que la balle est présentement dans le camp du gouvernement fédéral, de qui relève le territoire autochtone.

Un « plan d’action » de 1,16 milliard

Ottawa dispose d’une enveloppe budgétaire de 1,16 milliard sur quatre ans pour sécuriser et nettoyer des sites semblables, dans le cadre de son Plan d’action pour les sites contaminés. Le centre de tri Recyclage G & R n’apparaît toutefois nulle part dans l’« inventaire des sites contaminés » du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, de qui relève ce programme.

Une lettre interne du Conseil de bande de Kanesatake que La Presse a obtenue, datée de mars 2022, soutient que les ministères provincial et fédéral de l’Environnement ont informé « à plusieurs reprises le Conseil [de bande] que la seule façon pour [ces ministères] d’engager des ressources en vue du nettoyage du site est que les “intérêts privés” sur ces terres soient supprimés », en d’autres termes, que « les droits de Gary et Robert Gabriel sur ces terres doivent être supprimés ».

Les frères Gabriel n’ont pas répondu à notre demande d’entrevue.

Selon l’ancien grand chef Serge Otsi Simon, qui vient d’être réintégré au sein du Conseil de bande de Kanesatake, le ministre fédéral des Affaires autochtones aurait le pouvoir d’enlever le certificat de possession qui a accordé aux frères Gabriel la possession du terrain où se trouve le site.

« Le gouvernement provincial a accordé un permis d’exploitation, c’est vite devenu un désastre environnemental. Maintenant que le site est fermé, ils veulent s’en laver les mains. Il n’en est pas question », affirme M. Simon.

Pendant ce temps, à Ottawa, le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, a indiqué que des démarches seront mises en branle pour que le comité des affaires autochtones et du Nord se penche sur cette affaire au cours des prochaines semaines. Un comité parlementaire a le pouvoir de sommer des témoins qu’il juge pertinents à comparaître.

« Cela fait deux ans que nous sommes en contact avec les gens de la communauté de Kanesatake. Ils sont très inquiets à cause de la présence de ce dépotoir illégal, de la pollution et de la contamination de l’eau. Ils sont aussi inquiets sur les enjeux de gouvernance et de sécurité publique dans leur communauté. C’est extrêmement préoccupant, ce que l’on entend sur l’intimidation, les menaces et la violence », a affirmé M. Boulerice dans une entrevue avec La Presse.

C’est une situation absolument épouvantable. Écoute, il n’y a plus de service de police là-bas. C’est un gros problème.

Alexandre Boulerice, chef adjoint du Nouveau Parti démocratique

Le NPD prépare une « sortie commune » dans ce dossier avec la députée de Québec solidaire à l’Assemblée nationale Manon Massé.

Mme Massé souhaite, au surplus, que des observateurs internationaux soient impliqués dans le processus, « parce que les différents paliers de gouvernement se renvoient la balle dans ce dossier depuis presque une dizaine d’années », a-t-elle justifié.

« Il y a des concitoyens qui ne vivent pas dans la sécurité. C’est ce qui arrive quand on laisse traîner les choses », affirme la députée solidaire.