Quand la municipalité de Södertälje a résolu de faire appel à des corbeaux pour réduire ses dépenses de ramassage des détritus dans les rues de son centre-ville, au début de l’année, la nouvelle a fait le tour du monde. Ce n’est pas une première, et ce ne sera sûrement pas la dernière fois que l’on fera appel à des corbeaux dressés pour ramasser nos cochonneries.

Pour Södertälje, commune suédoise de 84 000 habitants située à environ 30 km à l’est de Stockholm, il s’agit purement d’un calcul financier : en coûterait-il moins cher de dresser des corbeaux à ramasser des mégots que si on les fait ramasser par les employés de la Ville ?

Une jeune pousse locale, Corvid Cleaning, œuvre à la mise au point d’un dispositif qui récompense les corbeaux en leur donnant de la nourriture lorsqu’ils rapportent un mégot. Si l’expérience est concluante, ces machines pourraient être installées dans toute la ville.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE LA VILLE DE SÖDERTÄLJE

La municipalité de Södertälje mène une guerre contre les mégots, comme le montre cette photo du lancement d’une campagne de sensibilisation en octobre 2021. Tomas Thernström (au centre), stratège des déchets de la municipalité, es entouré de Aljosa Lagumdzija et Lena Raattamaa de la Ville de Södertälje.

Södertälje a un problème de salubrité publique devenu commun à presque toutes les artères commerciales et avenues de tours de bureaux dans le monde : l’accumulation des mégots de cigarette des fumeurs qui sortent sur les trottoirs ou devant l’immeuble de leur employeur pour en griller une à la pause. C’est dégoûtant.

Montréal ne fait pas exception. Pas moins de 40 % de tous les détritus recueillis chaque jour par les services municipaux sur la voie publique sont des mégots de cigarette.

La pointe d’un iceberg

Et ce n’est pourtant que la partie visible d’un problème environnemental beaucoup plus grand, plus grave. Depuis 2019, des chercheurs et des groupes environnementaux ciblent les mégots de cigarette comme l’une, sinon la plus grave des causes de pollution des océans. Des dizaines de matières toxiques en microdoses sont libérées dans l’eau chaque fois qu’on y jette un mégot. Il faut un seul mégot pour polluer 500 L d’eau.

Or, à l’échelle mondiale, on produit chaque année, selon des estimations, environ 5200 milliards de cigarettes, dont 90 % ont un bout filtre. Et selon d’autres études, entre 40 % et 70 % de ces mégots (soit entre 2080 et 3640 milliards de mégots) sont libérés dans l’environnement. Chaque année !

Malgré des efforts louables, on n’en récupère qu’une infime partie.

Des milliers, des millions, des milliards

PHOTO TIRÉE DU BLOGUE DU PARC DU PUY DU FOU

Un corbeau rapporte un déchet dans une boîte, qui lui donne de la nourriture en échange.

Pour illustrer l’ampleur de la tâche, il suffit de regarder les résultats de la campagne Mégot Zéro menée vaillamment depuis cinq ans par la Société pour l’éducation et la sensibilisation environnementale de Montréal (SAESEM). Avec un réseau limité de 20 cendriers à récupération, près de 3000 kg de mégots ont été recueillis et livrés depuis 2016 au centre de recyclage de TerraCycle, à Toronto. Cela représente au moins 6,8 millions de mégots.

Sur son site internet, la Ville de Montréal se targue quant à elle d’avoir recueilli plus de 1,5 million de mégots, en 2019 seulement, grâce à ses 1000 cendriers installés dans l’arrondissement de Ville-Marie.

Or, en tout respect, un seul fumeur moyen consommant un petit paquet de 20 cigarettes par jour produit chaque année 7300 mégots. Les mégots récupérés par la SAESEM représentent ainsi les déchets d’un peu moins de 1000 fumeurs sur cinq ans, ou de 200 fumeurs sur toute une année.

À Montréal seulement, on estime qu’il y a environ 400 000 fumeurs.

Un électrochoc

PHOTO TIRÉE DU BLOGUE DU PARC DU PUY DU FOU

Le fauconnier professionnel Christophe Gaborit utilise une boîte à double tiroir comme celle d’un illusionniste pour troquer de la nourriture contre des déchets avec ses six corbeaux freux, dressés depuis le nid.

Un fauconnier du parc à thème historique Puy du Fou, situé dans la petite commune de Les Épesses, en France, entraîne des oiseaux à rapporter des déchets depuis les années 2000. En 2018, il en a mis six employés du parc, des corbeaux freux, qui lui rapportent des mégots, des pailles de plastique ou de petits papiers, en échange d’une poignée de nourriture. Ils sont devenus une attraction en soi. Tellement qu’aujourd’hui, ils doivent travailler sous surveillance. Pas par crainte des corbeaux. Pour empêcher les touristes de jeter des trucs par terre, juste pour les voir travailler.

Consultez le site du Puy du Fou

La pollution des mégots de cigarette ne peut pas être une affaire pour les corbeaux. Ils ne seraient même pas assez nombreux pour tous les ramasser.

Dans une entrevue à une grande chaîne française, en 2020, le cofondateur de la jeune pousse française Birds for Change, Jules Mollaret, explique que le but de son projet, c’est de « travailler en collaboration avec des oiseaux pour créer un électrochoc dans les consciences, en disant que si les oiseaux sont capables de ramasser des déchets, pourquoi pas nous ? ».

Ce ne sont pas juste les oiseaux qui ont des trucs à apprendre.

Des corbeaux éboueurs en cinq temps

2008 – Le technologue américain Josh Klein présente la première mouture de son Crowbox, un système d’entraînement qui doit apprendre aux corbeaux à rapporter des pièces de monnaie contre des arachides. En 2009, le New York Times affirme que la capacité du système à dresser les oiseaux n’a pas été démontrée.

Consultez le site de Crowbox (en anglais)

2013 – Un groupe d’étudiants de l’Université de Lille 1, en France, remporte un prix de la revue La Recherche pour sa machine appelée Écorvidés, inspirée du design de Josh Klein. Les corbeaux sont entraînés spécifiquement pour rapporter des déchets (mégots, papiers, pailles, etc.).

Consultez le site d’Écorvidés
  • Un des concepteurs travaille à la mise au point de la Crowbar, la poubelle-mangeoire de l’entreprise néerlandaise Crowded Cities. Le projet a été abandonné en 2018.

    PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DE CROWDED CITIES

    Un des concepteurs travaille à la mise au point de la Crowbar, la poubelle-mangeoire de l’entreprise néerlandaise Crowded Cities. Le projet a été abandonné en 2018.

  • Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

    ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE INTERNET DE CROWDED CITIES

    Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

  • Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

    ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE INTERNET DE CROWDED CITIES

    Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

  • Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

    ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE INTERNET DE CROWDED CITIES

    Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

  • Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

    ILLUSTRATION TIRÉE DU SITE INTERNET DE CROWDED CITIES

    Illustration du dispositif conçu par la start-up néerlandaise Crowded Cities pour échanger déchets contre nourriture

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2017 – Une start-up néerlandaise, Crowded Cities, reprend l’idée des corbeaux éboueurs et crée le Crowbar (le bar à corbeaux), dont la forme rappelle celle d’un cendrier. Le projet est abandonné en décembre 2018. Les instigateurs admettent « n’avoir jamais pu avoir une image claire des effets sur l’environnement ou sur les corbeaux ».

Consultez le site de Crowded Cities (en anglais)

2020 – Une start-up française, Birds for Change, puise à tous ces concepts. Ses deux jeunes entrepreneurs se sont associés à des experts en comportement des oiseaux et à plusieurs fondations de recherche afin de perfectionner le système, à l’essai depuis 2020 à Paris et à Strasbourg. Peut-être le projet le plus abouti.

Consultez le site de Birds for Change

2022 – La municipalité de Södertälje, dans l’est de la Suède, s’associe à une petite entreprise locale, Corvid Cleaning, pour mener un projet-pilote de ramassage des mégots par des corbeaux entraînés. L’entreprise a précisé que l’annonce d’un projet-pilote était un peu prématurée, et que son dispositif est encore à l’état de prototype. On peut l’apercevoir sur une courte vidéo ici (en anglais).

Consultez le site de Corvid Cleaning (en anglais)
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En savoir plus
  • La pollution des mégots
    4000 substances chimiques traversent un filtre lors de la consommation d’une cigarette ; 80 % du mégot est composé d’acétate de cellulose, un plastique non biodégradable. Il faut 12 ans à un mégot pour se décomposer ; 150 000 mégots sont jetés au sol dans le monde chaque seconde.
    source : Société pour l’éducation et la sensibilisation environnementale de Montréal (SAESEM)