(Québec) Le gouvernement Legault annonce qu’il repousse à 2023 le dépôt d’une stratégie pour le rétablissement du caribou forestier. Il lance plutôt une commission indépendante – sans aucun biologiste – pour se pencher sur l’avenir de cette espèce menacée, une douche froide pour les environnementalistes et la Nation innue.

Deux scénarios seront étudiés par la commission dirigée par Nancy Gélinas, doyenne de la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval et professeure-chercheuse en économie forestière. Le premier sera composé de « pistes de solution proposées par les groupes opérationnels régionaux » ; le second sera « sans incidence additionnelle sur les approvisionnements en bois », c’est-à-dire qu’il ne réduirait pas la quantité de forêts disponible pour les sociétés forestières.

Le caribou forestier est inscrit au registre québécois des espèces menacées depuis 2005. Pourtant, le gouvernement reporte sans cesse l’adoption d’actions concrètes pour le protéger, déplorent des groupes environnementaux.

« Le temps est venu d’agir et de prendre conscience que l’essentiel de la science derrière le rétablissement du caribou, on l’a », estime Alain Branchaud, directeur général de l’aile québécoise de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec).

« En reportant encore sa stratégie […], le ministre [des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec] abandonne son rôle de protection des espèces fauniques menacées. C’est à se demander si sa réelle stratégie n’est pas tout simplement de commander des études […] en attendant que le dernier caribou disparaisse », dénonce la directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard.

Pierre Dufour réplique

Le ministre Pierre Dufour réplique aux critiques de ces « groupuscules ». Il soutient que la commission sera capable d’aller chercher des avis externes de biologistes, et que des actions concrètes sont déjà lancées pour protéger l’espèce, par exemple la construction d’enclos en Abitibi, dans Charlevoix et en Gaspésie pour protéger le caribou des prédateurs ainsi que la fermeture de chemins forestiers. Il souligne également que des aires protégées ont été annoncées.

C’est comme si on ne voulait pas voir les bonnes actions qu’on pose […]. C’est de valeur, mais les groupuscules qui sont contre le travail qu’on fait ne soulèvent jamais ces actions.

Pierre Dufour, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs

M. Dufour soutient qu’après sa « tournée caribou » et une méta-analyse sur le sujet, il manquait encore de l’information, notamment sur les effets des changements climatiques, pour déposer son plan, pourtant prévu en 2021.

Selon le spécialiste du caribou Martin-Hugues St-Laurent, professeur à l’Université du Québec à Rimouski, il aurait été possible de mettre sur pied cette commission tout en annonçant immédiatement un plan d’action. « La construction d’enclos, ça s’attaque au symptôme. C’est comme si on écopait l’eau d’une chaloupe sans boucher le trou qui fait rentrer l’eau. Le problème, c’est la protection de son habitat », souligne-t-il.

Confiance fragile

Les environnementalistes ne sont pas les seuls à critiquer M. Dufour. Dans une lettre ouverte publiée lundi dans La Presse, le Conseil des Innus de Pessamit dénonçait à l’avance cette décision. M. Dufour ne l’a pas lue, mais il tient à les rassurer : des actions de protection sont mises en place sur la Basse-Côte-Nord.

Le chef responsable du dossier du caribou, Réal McKenzie, de Matimekush–Lac John, s’oppose à la décision gouvernementale. « Les Chefs de la Nation innue sont stupéfaits de ne pas avoir été contactés en amont par le gouvernement du Québec pour la mise sur pied d’une telle démarche sur un enjeu si crucial pour notre nation et ses membres », a-t-il affirmé à La Presse. « Notre expertise, nos savoirs et notre relation millénaire envers Atiku [le caribou] n’ont pas été considérés dans la composition de la commission puisqu’elle ne comporte aucun représentant autochtone. […] La confiance, déjà si fragile, n’est pas au rendez-vous », déplore-t-il.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse