(Ottawa) Le secrétaire général des Nations unies estime que le nouveau rapport du GIEC « doit sonner le glas du charbon et des combustibles fossiles », ce qui soulève de nouvelles questions sur la stratégie climatique du Canada et la viabilité à long terme de son secteur énergétique traditionnel.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), mandaté par les Nations unies, a publié lundi son nouveau rapport. Les experts estiment que la Terre se réchauffe si rapidement en raison de l’activité humaine que les températures dans une décennie environ dépasseront le seuil de réchauffement que les dirigeants mondiaux cherchaient à éviter.

Le Canada figure parmi les trois plus gros émetteurs de dioxyde de carbone par habitant au monde, avec les États-Unis et l’Australie.

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré que ce rapport historique équivalait à une « alerte rouge pour l’humanité », alors que des vagues de chaleur, des sécheresses, des inondations et des incendies de forêt de plus en plus extrêmes menacent le monde.

Le ministre canadien de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, estime que ce nouveau rapport du GIEC a une résonnance particulière pour le Canada, puisque le pays « se réchauffe près de deux fois plus rapidement que le reste de la planète ». Il reconnaît que certaines régions de l’Ouest et du Nord se réchauffent trois fois plus que la moyenne mondiale, avec des ramifications qui se produisent dans un cycle d’inondations et d’incendies de forêt en Colombie-Britannique et ailleurs.

« De plus, les scientifiques ont établi un lien clair entre les changements climatiques et la hausse de la fréquence et de la violence de certains phénomènes météorologiques, notamment les vagues de chaleur, les incendies de forêt, les inondations et la perte de glace de mer », indique le ministre dans un communiqué.

M. Wilkinson estime que son gouvernement a pris des « mesures climatiques agressives » par le biais de la tarification du carbone et de l’engagement de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.

Les écologistes peu étonnés

Chez Équiterre, on estimait lundi que « malheureusement, les cibles de réduction de GES du Canada et du Québec sont clairement insuffisantes ».

« Il faut revoir nos objectifs et arriver avec un plan de match à la hauteur de la crise climatique à la COP26 cet automne », écrit sur Twitter l’analyste des politiques climatiques chez Équiterre, Émile Boisseau-Bouvier. « L’action climatique passe par la cohérence de l’action gouvernementale : au Canada, il faut cesser de subventionner les énergies fossiles […] Au Québec, on doit mettre fin aux projets délétères comme le troisième lien. »

Chez Greenpeace Canada, on soutient que « les vagues de chaleur et les incendies de forêt mortels, les sécheresses dévastatrices, les crues soudaines et l’élévation du niveau de la mer ne feront que devenir plus fréquents et plus extrêmes tant que nous ne cesserons pas de brûler des combustibles fossiles et de protéger les écosystèmes qui retiennent le carbone ».

« En tant que l’un des plus grands producteurs et exportateurs de combustibles fossiles au monde, le Canada est actuellement une grande partie du problème, mais nous pouvons et devons être une partie encore plus grande de la solution », écrit Keith Stewart, stratège senior en énergie chez Greenpeace Canada.

Amara Possian, directrice de campagne au Canada pour le groupe écologiste 350.org, estime elle aussi que le rapport du GIEC démontre que la stratégie climatique canadienne est loin d’être suffisante.

« Avec des élections imminentes et des incendies de forêt alimentés par le climat qui font toujours rage dans ce pays, la vraie question est de savoir si nos politiciens écoutent — et si l’un d’entre eux va se lever et devenir le champion du climat dont nous avons besoin », a-t-elle espéré dans un communiqué. L’organisme exige un moratoire sur l’expansion des combustibles fossiles au Canada et l’arrêt de l’expansion du pipeline Trans Mountain.

Pour Eddy Pérez, du Réseau action climat, le rapport du GIEC montre que limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels n’est « tout simplement pas négociable ».

« C’est le seul choix pour un avenir sûr et sain, et c’est encore possible. Nous devons nous battre pour rétablir notre relation rompue avec la nature et avec nous-mêmes ; nous devons lutter contre tout retard dans l’action climatique urgente. »

Les oppositions

Les leaders de l’opposition ont aussi commenté lundi le rapport du GIEC, mettant l’accent sur les emplois verts comme voie vers la réduction des émissions et la stabilité économique.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a déploré que « malgré les slogans, lois et vœux creux, le Canada poursuit son obsession d’exploiter gaz et pétrole de l’ouest » et est « un danger planétaire ».

« Notre déni des efforts à déployer n’aide pas. Agissons tôt pour éviter pire. Le Québec peut être un modèle », a-t-il écrit sur Twitter.

Le chef conservateur, Erin O’Toole, a éludé la question de savoir si la fin est proche pour les combustibles fossiles et le charbon, mais il a qualifié le changement climatique de « menace urgente » pour le Canada. « (Les conservateurs) atteindrons nos objectifs de Paris, nous réduirons les émissions, mais nous ferons également travailler les gens », a-t-il déclaré aux journalistes.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, a accusé le premier ministre Justin Trudeau de laisser les gros pollueurs s’en tirer facilement, faisant référence à la décision du gouvernement d’assouplir, en 2018, les limites proposées au tarif du carbone pour les grands émetteurs. « Les gens se demandent à quoi ça sert ? », a dit M. Singh. « La seule voie à suivre est de s’assurer que les travailleurs sont au cœur de la solution », citant les rénovations de bâtiments, les véhicules électriques et les transports en commun.

La cheffe du Parti vert, Annamie Paul, a qualifié les conclusions du GIEC d’« effrayantes » et de « tristes », mais elle espère que ce rapport raffermira la détermination des Canadiens à l’égard du changement climatique.

« Ce n’est pas seulement l’altruisme ou une préoccupation pour la planète qui pousse l’Union européenne, les États-Unis et la Chine et toutes les autres grandes économies vers une économie verte : c’est l’avantage concurrentiel que ça va leur donner, les emplois que ça va créer », a-t-elle déclaré lors d’un entretien téléphonique.

Mme Paul a par ailleurs soutenu que le Canada n’avait pas atteint un seul de ses objectifs climatiques et qu’il avait vu ses émissions de GES augmenter chaque année depuis 2015.

M. Wilkinson se dit convaincu que les nouvelles conclusions du GIEC vont influencer les discussions de la prochaine Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP26), en novembre prochain en Écosse.