(Ottawa) Le Québec sera assujetti à une taxe fédérale sur le carbone au plus tard d’ici trois ans dans le cadre des nouvelles mesures de lutte contre les changements climatiques qui seront annoncées vendredi par le premier ministre Justin Trudeau, a appris La Presse.

Le Québec n’est pas soumis à ce régime fédéral en vigueur depuis le 1er avril 2019 dans plusieurs régions du pays parce que la province a imposé une forme de prix sur la pollution en participant à une bourse du carbone avec la Californie.

Cette taxe fédérale est actuellement imposée dans les provinces qui n’ont pas elles-mêmes mis sur pied un régime de tarification, soit l’Ontario, la Saskatchewan, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick. La taxe est aussi imposée en Alberta depuis le 1er janvier après que le gouvernement conservateur de Jason Kenney eut aboli l’an dernier le régime de tarification mis sur pied par le précédent gouvernement néo-démocrate.

À l’heure actuelle, la taxe fédérale s’élève à 30 $ la tonne d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle doit augmenter de 10 $ la tonne par année pour atteindre 50 $ la tonne en 2022. Le gouvernement Trudeau n’a pas encore annoncé ses intentions au sujet de la hausse de la taxe au-delà de cette date. Le mystère à ce sujet prendra fin vendredi.

« La faiblesse du plan québécois, qui a aussi des points forts, c’est que ce sont juste des carottes. Tu ne peux pas y arriver. Ça prend aussi des bâtons [pour réduire les émissions de GES]. Ça prend de nouvelles réglementations sur les véhicules, par exemple, mais aussi de nouvelles mesures fiscales, dont la tarification du carbone », relève-t-on dans les coulisses du pouvoir à Ottawa.

Cibles de l’accord de Paris

Sans l’adoption de mesures supplémentaires, le Canada est en voie de rater les cibles de réduction des émissions de GES qu’il s’est fixées en signant l’accord de Paris sur les changements climatiques en décembre 2015. En vertu de cet accord, le Canada s’est engagé à ramener les émissions de GES de 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030 — les cibles qu’avait adoptées l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Vendredi, soit 24 heures avant de souligner le cinquième anniversaire de la signature de cet accord, le premier ministre Justin Trudeau compte marquer le coup en annonçant que le Canada a la ferme intention de dépasser les cibles de Paris. Cette ambition avait été évoquée pour la première fois dans le discours du Trône présenté par son gouvernement minoritaire le 23 septembre.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

M. Trudeau annoncera donc de nouvelles mesures pour y arriver, selon nos informations, notamment l’augmentation de la taxe sur le carbone à partir de 2023, alors qu’il doit participer le samedi 12 décembre à une rencontre des chefs d’État et de gouvernement pour marquer le cinquième anniversaire de la signature de l’accord de Paris. Les dirigeants profiteront de l’occasion pour réitérer leur ferme intention de limiter encore davantage l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius.

Toutefois, M. Trudeau attendra au début de 2021 pour confirmer la nouvelle cible que s’imposera le Canada, selon nos informations.

« On ne peut pas souligner le cinquième anniversaire de l’accord de Paris en ayant encore les cibles établies par Stephen Harper », a lancé une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’avait pas l’autorisation de parler de ce dossier publiquement.

Chose certaine, l’arrivée au pouvoir du président désigné Joe Biden à Washington en janvier « change la donne » pour le gouvernement Trudeau. L’un des premiers gestes que compte poser la nouvelle administration Biden est de faire en sorte que les États-Unis réintègrent l’accord de Paris.

« Son arrivée au pouvoir, c’est majeur. Dans le passé, les entreprises canadiennes disaient qu’elles ne pouvaient pas concurrencer les Américains parce que l’administration Trump ne faisait rien. On avait l’air bien bons comparativement aux Américains, mais si on n’adopte pas de nouvelles mesures, on va se faire damer le pion par les Américains et par une administration qui sera très proactive dans la lutte contre les changements climatiques. Ça devient une question de concurrence dans l’économie verte », a-t-on souligné à Ottawa.

Rencontre avec les premiers ministres provinciaux

M. Trudeau doit aborder le dossier ce jeudi durant la conférence virtuelle des premiers ministres. Durant cette rencontre avec ses homologues provinciaux, les préparatifs en prévision de la campagne nationale de vaccination contre la COVID-19 et la hausse des transferts fédéraux en santé sont aussi à l’ordre du jour.

Selon nos informations, le ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, devait informer mercredi, à la veille de la rencontre des premiers ministres, son homologue québécois Benoit Charette des intentions du gouvernement Trudeau.

Quelle sera l’ampleur de la taxe qui pourrait s’appliquer au Québec ? La Presse n’a pas été en mesure d’obtenir ces informations. Certes, il faudra tenir compte des efforts consentis par Québec pour réduire son empreinte environnementale, notamment sa participation à la bourse du carbone.

Dans un rapport publié en octobre, le directeur parlementaire du budget (DPB), Yves Giroux, estimait que la taxe sur le carbone devrait passer à au moins 117 $ la tonne d’ici 2030, si elle est appliquée à toutes les industries, et elle devait être imposée dans toutes les provinces après 2022. Et ce scénario permettrait seulement d’atteindre les cibles de réduction des émissions de GES découlant de l’accord de Paris.

Mais si le gouvernement optait de plafonner la taxe sur le carbone à 50 $ la tonne jusqu’en 2030 pour les grands émetteurs industriels, il faudrait que les ménages et les autres secteurs de l’économie comblent l’écart. Selon le DPB, il faudrait alors imposer « un tarif direct sur le carbone allant de 117 $ à 289 $ la tonne en 2030 ».

Rappelons que la grande majorité des recettes provenant de la taxe sur le carbone sont reversées par Ottawa aux contribuables dans les provinces où elle a été perçue au moment où ils remplissent leur déclaration de revenus.

Selon nos informations, le gouvernement Trudeau jongle avec l’idée de modifier la façon dont les recettes sont remises aux contribuables en s’inspirant des crédits de TPS qui sont versés aux Canadiens les moins fortunés tous les trois mois. L’objectif est de faire en sorte que les avantages d’une taxe sur le carbone « soient plus tangibles et concrets » sur le plan fiscal. En effet, on envisage d’offrir aux contribuables un montant versé tous les trois mois, au lieu d’une fois par année au moment de remplir une déclaration de revenus, afin de dorer la pilule.