La collision attendue entre François Legault et Philippe Couillard sur le thème de l'immigration s'est bel et bien produite hier au débat des chefs, pendant que Jean-François Lisée est passé à l'offensive dans l'espoir de faire bouger l'aiguille des sondages.

Au cours d'un échange musclé en fin de débat, le chef libéral a accusé son adversaire caquiste de semer « la peur » avec sa proposition de révoquer le certificat de sélection aux immigrants qui échouent à un test de français ou à un test des valeurs trois ans après leur arrivée. Le citoyen qui avait lancé le débat sur le thème de l'immigration, Dung Lê, arrivé au Québec en 1975, avait déclaré quelques instants plus tôt que « le test des valeurs n'[avait] aucune raison d'être ».

François Legault a reproché à des membres de l'équipe libérale d'avoir tenté de démoniser la Coalition avenir Québec (CAQ) depuis plusieurs mois. « Vous savez pourquoi les gens réagissent comme ça ? C'est parce que vous leur faites peur, M. Legault. Ces familles, ces hommes, ces femmes et ces enfants qui écoutent, vous leur faites peur ! », a lancé Philippe Couillard.

François Legault a répliqué du tac au tac : « Les Québécois sont tannés de vous avoir comme donneur de leçons au Québec, M. Couillard. » Il a appelé le chef libéral à montrer la porte à son candidat Mohammed Barhone, que l'on a vu déclarer dans une vidéo diffusée plus tôt dans la journée que la CAQ voulait faire un « nettoyage de l'immigration ».

« Il s'est excusé, vous vous évadez de la question », a dit M. Couillard. Comme à quelques reprises durant le débat, le chef libéral a demandé à son adversaire d'être « plus précis » sur ses propositions. Qu'adviendrait-il d'un père immigrant qui échouerait au test de français alors que ses enfants, eux, maîtrisent la langue parce qu'ils sont scolarisés en français, comme le prévoit la loi 101 ? « Il y aura des exceptions », a soutenu M. Legault, soulignant qu'un gouvernement caquiste offrirait plus de cours de français aux nouveaux arrivants et que plusieurs pays d'Europe imposent des tests comme il souhaite le faire.

« Vous semez la confusion et vous faites exprès », a riposté son adversaire. Pour lui, le chef caquiste ne comprend pas le système d'immigration au Canada : « Vous ne savez pas ce dont vous parlez. »

Le chef péquiste s'en est mêlé : François Legault créerait une classe de « sans-papiers sur le territoire québécois ». « C'est la pire chose à faire », a dit Jean-François Lisée. Il préconise plutôt que les nouveaux arrivants apprennent le français avant leur arrivée au Québec.

Philippe couillard sur la défensive

Jean-François Lisée avait le couteau entre les dents en ouverture de débat, autant sur les thèmes de la santé que de l'éducation. Il a poussé Philippe Couillard dans les câbles en utilisant des exemples précis de citoyens qui ont perdu des services lorsqu'il y a eu compressions pour parvenir à l'équilibre budgétaire.

« Sous votre administration, il y a eu des stratagèmes pour enlever toutes les heures de soins à domicile à des gens qui sont handicapés. Vous n'avez jamais montré la moindre compassion ! »

- Jean-François Lisée, chef du Parti québécois

Philippe Couillard a fait valoir qu'« il y [avait] plus d'argent que jamais dans les soins à domicile » à l'heure actuelle.

Le chef libéral s'est également retrouvé sur la défensive au sujet de la rémunération des médecins. François Legault a rappelé son intention de changer le mode de rémunération des omnipraticiens - une idée que M. Couillard défendait avant son entrée en politique, a-t-il insisté. Le chef libéral a déclaré que c'est M. Legault qui « a mis la main dans le tordeur » en acceptant, lorsqu'il était ministre de la Santé, le principe d'un rattrapage salarial des médecins québécois avec leurs collègues de l'Ontario.

« Même Gaétan Barrette a avoué que les médecins québécois gagnent plus qu'en Ontario, a relevé François Legault. Vous avez augmenté leur rémunération sans prévoir d'étude comparative avec l'Ontario. Ce n'est pas de la bonne gestion . »

Jean-François Lisée, qui promet de geler la rémunération des médecins, a pris la balle au bond : « Pourquoi c'est l'Ontario qui doit décider du salaire de nos médecins ? [...] Ce n'est pas Doug Ford ou le premier ministre de l'Ontario qui va décider comment on paye les médecins ! » Il faut les rémunérer en fonction de « la capacité de payer des Québécois », a-t-il insisté. Les libéraux ont une approche de « tout aux médecins », selon lui.

« Je ne vous pardonnerai jamais ça ! »

Sur le thème de l'éducation, Philippe Couillard a dû essuyer une pluie de critiques. Jean-François Lisée l'a accusé d'avoir supprimé des postes de professionnels venant en aide aux enfants en difficulté d'apprentissage au début du mandat.

« M. Lisée, je veux vous dire que le gouvernement qui a fait le plus de tort à l'éducation, c'est celui dans lequel vous étiez et où M. Legault était également », a soutenu M. Couillard dans une allusion au gouvernement de Lucien Bouchard, à la fin des années 90. « Alors, c'est la faute de M. Bouchard si vous avez fermé des organismes d'aide aux décrocheurs ? Ce n'est pas votre faute ? Rien n'est votre faute ? Prenez votre responsabilité ! », a répliqué M. Lisée.

François Legault s'est mis de la partie, ciblant lui aussi les coupes dans l'aide aux élèves les plus vulnérables. « Je ne vous pardonnerai jamais ça ! », a-t-il asséné.

Philippe Couillard a encore une fois voulu remonter dans le temps, affirmant que M. Legault avait « justifié les coupes » en éducation du gouvernement Bouchard. Dans une sortie inusitée, le chef libéral a déclaré que son parti allait mettre en ligne une vidéo le prouvant. Titulaire de l'Éducation en 1999, M. Legault reconnaissait alors que son ministère « a dû procéder à des compressions pour réduire le déficit à zéro ». Or, l'extrait que le PLQ a diffusé ne montre pas la déclaration au complet : M. Legault précisait par la suite que le nombre de cadres avait diminué, mais pas celui des personnes responsables des services directs aux élèves.

Le chef caquiste a martelé sa promesse d'offrir la maternelle 4 ans partout au Québec, reprochant à Philippe Couillard de « manquer d'ambition ». « Avec vous, l'ambition rime souvent avec brouillon », a dit M. Couillard. Le cadre financier de la CAQ sous-estime le coût de cet engagement « du simple au double », selon lui.

Salaire minimum à 15 $ et environnement

La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a paru quelque peu en retrait dans ce débat. Ses sorties les plus percutantes ont porté sur le salaire minimum à 15 $ et, surtout, l'environnement. « Si on continue tel que ces partis-là nous dirigent, on va directement dans le mur ! », a-t-elle affirmé, proposant de cesser de financer le Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette, et de se servir de cet argent pour investir dans les infrastructures vertes. Si l'on faisait pareille chose, « le Québec serait décoté ! Ça vous fait rire ? », a répliqué M. Couillard.

Il a écorché une autre fois Manon Massé quand elle a fait une sortie contre les accords de libre-échange : « Excusez-moi, Mme Massé, ça ne marche pas. Je vais être obligé de vous expliquer un peu, là. Écoutez-moi ! »

« Je m'excuse [...], c'est moi qui vais vous expliquer quelque chose. [...] Regardez le temps que vous avez pris. Regardez celui que j'ai pris, pouvez-vous me laisser parler ? », a-t-elle lancé avant que l'animateur Patrice Roy reconnaisse qu'elle avait là « un bon point ». Elle a eu globalement un peu moins de temps de parole que les autres chefs.

- Avec la collaboration de Martin Croteau et Hugo Pilon-Larose, La Presse

Le bilan des chefs

François Legault : « Philippe Couillard, ça fait longtemps qu'il donne des leçons »

François Legault s'est félicité d'avoir pu dresser le « bilan de 15 années libérales » lors du débat d'hier. Il a balayé d'un revers de main la charge de Philippe Couillard, qui l'a accusé de faire « peur » aux immigrants. « Philippe Couillard, ça fait longtemps qu'il donne des leçons, a dénoncé M. Legault. Et les Québécois n'aiment pas ça. » Il a martelé que les propositions de la CAQ sur l'immigration « rejoignent ce que veulent la grande majorité des Québécois ». Et ce, même si le citoyen qui avait lancé le débat avait ouvertement critiqué le « test des valeurs » proposé par le parti. « On a le droit d'exiger que les nouveaux arrivants acceptent nos valeurs, acceptent de parler français. Et je pense que la majorité des immigrants sont d'accord avec ça. »

Philippe Couillard : « Comment vous voulez ne pas avoir peur ? »

Philippe Couillard estime que le débat lui a permis d'exprimer ses valeurs, de dévoiler sa plateforme et de révéler « certaines incohérences » chez ses adversaires. Bien que François Legault l'ait traité de « donneur de leçons », le chef libéral a affirmé qu'il ne disait que la « vérité » quand il a accusé le chef caquiste de faire « peur » aux immigrants avec son test des valeurs. « Vous écoutez ces histoires d'expulsion, comment vous voulez ne pas avoir peur ? », a-t-il demandé. Il s'est par ailleurs défendu d'avoir agi avec paternalisme lors d'un échange avec Manon Massé sur l'ALENA. « Ça a été fait sincèrement, sans aucune autre pensée que d'expliquer les choses. »

Jean-François Lisée : « L'important, c'est d'être dans le débat »

Pour Jean-François Lisée, dont le parti est actuellement en troisième position dans les sondages, « l'important, c'est d'être dans le débat », a-t-il dit hier.

Après le premier débat électoral de la campagne, le chef du Parti québécois s'est dit « très satisfait » de sa performance. Il estime que les Québécois écoutent ce qu'il dit et prédit qu'il sera à égalité avec le chef de la CAQ, François Legault, d'ici à la fin de la campagne.

« J'ai essayé de calibrer mes affaires pour intervenir au bon moment. Au début, je voulais vraiment être dans la mêlée, mais je me suis dit un moment donné : "Bon, on va laisser les gens parler" », a-t-il dit, convenant que les échanges étaient parfois cacophoniques.

« L'important, c'était de passer les messages, poser les bonnes questions », a affirmé M. Lisée en rétrospective de sa prestation.

Manon Massé : « L'écoute d'un chef d'État est tout aussi importante que sa parole »

Pour Manon Massé, qui représentait pour la première fois Québec solidaire lors d'un débat électoral, « l'écoute d'un chef d'État est tout aussi importante que sa parole », a-t-elle dit hier.

Des quatre chefs de partis politiques qui ont participé au débat électoral à Radio-Canada, Mme Massé est celle qui a eu le moins de temps de parole.

« Je pense que quand ça se met à parler tout le monde en même temps », la population n'aime pas ça, a-t-elle dit.

« J'avais de la difficulté parfois à [entendre mes adversaires] sur le plateau. Je ne peux même pas imaginer ce que ça voulait dire à la maison », a déploré Mme Massé.

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