Le groupe Accurso a réussi à réorganiser ses affaires pour économiser 45 millions de dollars d'impôts grâce au consentement d'un groupe de quatre investisseurs qui comprend le Fonds FTQ, a appris La Presse.

Selon nos informations, le stratagème controversé n'aurait pu fonctionner sans l'appui de l'institution syndicale, dont les activités sont financées grâce aux généreux crédits d'impôt des gouvernements.

Le stratagème a été ficelé au printemps 2008. Le groupe Accurso a alors acquis une entreprise en faillite pour profiter de ses énormes pertes accumulées. Ces pertes servent à réduire les profits du groupe Accurso et, ce faisant, ses impôts.

L'entreprise en faillite, Réseaux Simpler, était alors contrôlée par un groupe de quatre actionnaires, dont le Fonds de solidarité FTQ. Dans un document déposé en cour, il est indiqué que ces actionnaires ne contesteront pas la transaction et même «aideront Simard-Beaudry Construction dans la restructuration et l'implantation de l'opération».

La transaction du groupe Accurso respecte la lettre de la Loi de l'impôt, mais cinq fiscalistes consultés par La Presse jugent qu'elle en bafoue l'esprit, ce qui constituerait de l'évitement fiscal abusif, interdit par le fisc.

Normalement, les autorités fiscales acceptent que les pertes de l'entreprise acquise (Simpler) servent à réduire les impôts de l'acquéreur (Accurso) à la condition que les deux travaillent dans le même secteur. Or, Simpler était active dans le secteur des télécommunications, bien différent de celui de la construction.

Pour contourner ce problème, des fiscalistes ingénieux ont trouvé une faille dans la loi et la jurisprudence qui permettrait tout de même à l'acquéreur d'utiliser les pertes dans une telle situation. Selon ces fiscalistes, l'acquéreur peut en bénéficier si l'entreprise acquise ne change pas de contrôle.

C'est cette faille qu'a exploitée le groupe Accurso avec l'aval du Fonds FTQ et des trois autres actionnaires principaux de Simpler. Ces actionnaires ont ainsi accepté de garder le contrôle de Simpler entre leurs mains en conservant la majorité des actions avec droit de vote, selon un document confidentiel obtenu par La Presse.

Ils ont aussi accepté de céder tous les droits sur les pertes de Simpler au groupe Accurso en émettant un très grand nombre d'actions participantes, celles qui donnent droit aux profits et pertes, mais qui ne donnent pas le droit de vote.

«Vente de pertes fiscales»

Le groupe Accurso a payé 5 millions de dollars pour ces actions participantes, selon des documents déposés en cour. Pour l'essentiel, l'argent n'a pas été collecté par le Fonds FTQ ou les trois autres actionnaires (des firmes privées), mais par un créancier à qui Simpler devait de l'argent.

La transaction de Simpler est baptisée «vente de pertes fiscales» sur certains documents. Son implantation est conditionnelle à ce que le groupe Accurso puisse «bénéficier des pertes fiscales historiques, actuelles et futures de l'entreprise [Simpler]», est-il écrit dans la «lettre d'intérêt» du groupe Accurso.

C'est ce même document qui exige l'appui explicite des actionnaires. Il est signé par l'avocat du groupe Accurso et par deux administrateurs de Simpler, dont l'un est gestionnaire de portefeuille au Fonds FTQ.

Les pertes de Simpler s'élevaient à 155 millions au printemps 2008, ce qui permet d'espérer des économies d'impôts d'environ 45 millions sur quelques années. Selon cinq fiscalistes, le stratagème apparaît comme un cas d'évitement fiscal abusif. Un fiscaliste du secteur privé affirme que ce genre de transaction «n'a pas de bon sens dans le système d'impôts canadien. Ça va contre l'esprit de la loi».

Même son de cloche de quatre autres fiscalistes, dont les professeurs Gilles Larin, de l'Université de Sherbrooke, et André Lareau, de l'Université Laval. «De tels stratagèmes sont, de toute évidence, contraires à l'objectif de la loi, dit M. Lareau. Dans le cas du groupe Accurso, le tribunal donnerait totalement raison au fisc en cas de litige et exigerait le paiement des impôts évités en vertu de la Règle générale anti-évitement», a-t-il expliqué.

À l'Agence du revenu du Québec, dont les règles sont harmonisées avec le fédéral, le porte-parole nous indique qu'il ne peut commenter un cas précis. Cependant, l'Agence dit appliquer la Règle générale anti-évitement si «une opération d'évitement est réalisée principalement pour un objet fiscal» plutôt que commercial.

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200 millions Coût annuel des crédits d'impôt des gouvernements versés aux actionnaires du Fonds FTQ

34 millions Pertes du Fonds FTQ dans Simpler

45 millions Gain d'impôts espéré par le groupe Accurso avec la transaction