L'entrepreneur Pierre Pomerleau croit que le respect maladif des questions d'éthique au Québec est devenu exagéré et il juge que ce phénomène peut avoir des effets pervers.

Le président de Pomerleau, plus grande entreprise de construction du Québec, a rencontré brièvement les journalistes en marge de son discours à la chambre de commerce du Montréal métropolitain. Visiblement, il sait qu'il marche sur des oeufs en abordant la question de l'éthique. Mais ses propos font écho à ceux d'autres hommes d'affaires, tel l'ex-PDG de la SAQ Gaétan Frigon, qui dénonce le fait que «la mode est de laver plus blanc que blanc».

Interdit de manger ensemble

Pour illustrer son propos, Pierre Pomerleau raconte une anecdote. Hier matin, il avait une rencontre sociale avec plusieurs gens d'affaires au cours d'un déjeuner. La personne assise à ses côtés était le gestionnaire du Parc olympique.

«On n'a pas le droit d'aller manger ensemble, explique M. Pomerleau. Avant de rencontrer un entrepreneur, il doit en parler à ses avocats [parce que c'est le gestionnaire d'une société d'État]. Je ne peux pas lui vendre ma salade, je ne peux pas lui dire que Pomerleau est meilleure que son compétiteur. Il m'a dit: "C'est l'fun qu'on se rencontre, mais..." Je pense que maintenant, c'est peut-être rendu exagéré. C'est peut-être pour le mieux, mais...»

Pomerleau a franchi le cap du milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2011, une première. L'entreprise familiale participe aux projets du CHUM et du CUSM, à Montréal, et veut soumissionner pour la réfection de l'échangeur Turcot.

Dans son discours devant des gens d'affaires, il a dit constater que «le sentiment de fierté s'est émoussé» chez les entrepreneurs, en raison des nombreuses manchettes négatives des médias sur l'industrie de la construction au cours des dernières années.

Pourtant, affirme-t-il, la très grande majorité des projets de construction se déroule sans problème. «Il y a 25 000 entrepreneurs au Québec, peut-être que certains ne sont pas droits comme une barre, a-t-il dit aux journalistes. Mais quand on la regarde globalement, c'est une bonne industrie.»

Il y a deux semaines, dans les pages de La Presse, Gaétan Frigon a vivement critiqué la phobie des questions éthiques. «Ce phénomène de critiquer à peu près tout pour un rien est en voie de devenir une béquille pour toutes les sociétés d'État au Québec parce qu'on préfère ne rien faire plutôt que de se faire critiquer. Il est peut-être temps de respirer un peu plus par le nez et de recommencer à oser dans les sociétés d'État et les entreprises. Pour cela, il faut cesser de voir des scandales partout», a-t-il écrit.

Commission Charbonneau

Pierre Pomerleau ne croit pas que la commission d'enquête Charbonneau est inutile. L'exercice permettra de montrer du doigt les quelques entreprises non éthiques et finira par évacuer la question. Il estime toutefois que la loi 33, qui met fin au placement des employés sur les chantiers par les syndicats, aura un impact plus grand sur l'industrie, en lui permettant de devenir plus productive.

Selon l'entrepreneur, les donneurs d'ouvrage publics du Québec mettent trop l'accent sur les bas coûts au détriment de la qualité. «En Ontario, la question de la qualité, c'est beaucoup plus important qu'ici. Au Québec, les choses ont beaucoup changé au cours des dernières années. Tout est fait pour être propre, bien organisé, pour qu'on n'ait rien à se reprocher, de sorte qu'aujourd'hui, on met moins d'importance sur la qualité», a-t-il dit.

M. Pomerleau n'attribue pas ce problème à la compétence des employés et des entrepreneurs, mais au choix systématique du plus bas soumissionnaire dans les appels d'offres. «Parfois, il faut une expertise pointue pour un projet, qui ne s'estime pas avec le système du plus bas coût», a-t-il souligné.

Dans certains cas, des comités indépendants pourraient départager les soumissionnaires en fonction de la qualité, comme ça se fait ailleurs dans le monde, a-t-il suggéré.