Alberto Pellegrini ne parle pas japonais, inutile de dire qu'il le lit encore moins, alors commander dans un restaurant au Japon peut s'avérer un supplice. Heureusement, les plats sont souvent en vitrine: ce sont des reproductions parfaites en résine.

Ce katsudon, des tranches de porc frites et panées, a l'air de sortir de la poêle luisante de graisse, et ce verre de bière semble sortir tout droit du frigo avec même un peu de mousse qui dégouline sur le bord. Quant à ces sushis de thon rouge et de saumon, ils brillent comme du poisson fraîchement pêché.

Les fruits, la viande crue persillée, les poissons, le pain pour les restaurants qui en proposent: tout est tentant, mais faux!

«Ça aide vraiment», raconte Alberto à l'AFP, un touriste italien en voyage de noces au Japon.

Planté devant la vitrine d'un restaurant avec sa femme, il fait son menu.

«Je montre du doigt et je dis juste ''je veux ça et ça''».

Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'à l'origine ce talent d'imitation n'était pas fait pour attirer les consommateurs.

«Tout a commencé avec un artisan qui travaillait pour des médecins et fabriquait des reproductions pour des études pathologiques. Il leur confectionnait des organes plus vrais que nature, et par la suite un restaurateur a eu l'idée de lui demander de faire des reproductions de plats, et c'est comme ça que tout est parti», raconte Yasunobu Nose, un journaliste du quotidien Nikkei qui a écrit un livre sur ces faux plats.

On est au début des années 20, et le Japon commence à «sortir pour manger». Les provinciaux qui débarquent à Tokyo ne savaient pas vraiment ce qu'offraient les restaurants de la capitale, d'où l'idée de mettre les spécialités en vitrine.

Près d'un siècle plus tard, de nombreux établissements s'y sont mis. «Les Japonais ont développé un menu en trois dimensions», résume Yasunobu Nose.

«Comme ça, avant même de franchir la porte, vous savez tout! Ce qu'il y a comme plats dans ce restaurant, la taille des portions, les boissons, le prix, etc.»

Ces illusions gastronomiques ont même leur rue à Tokyo, la Kappabashi Dori, où, outre les ustensiles de cuisine, des dizaines de magasins spécialisés regorgent de milliers de ces faux plats.

Mais il n'est pas évident de faire saliver devant un plat de sushis en plastique, ou de faux tempuras (beignets de légumes ou de crevette par exemple): ils doivent donner l'illusion virtuelle parfaite du frais, du croustillant, du moelleux...

Iwasaki, une des principales sociétés spécialisées, a une armée d'artisans qui peignent à la main ces aliments en résine. Certaines reproductions élaborées peuvent se vendre jusqu'à 100 dollars. Des restaurateurs peu fortunés peuvent toutefois louer par exemple un faux hamburger pour 6 dollars par mois!

«Nos principaux clients sont évidemment les restaurateurs, mais les particuliers en raffolent de plus en plus», explique Takashi Nakai, un porte-parole de la société.

Pour preuve, l'entreprise, fondée en 1932, a ouvert récemment deux magasins à Tokyo où elle vend des amulettes dont les Japonais sont fous et qu'ils accrochent à leurs sacs ou téléphones portables: celles-là sont en forme de mini-sushis. Elle propose également des porte-clés avec une fausse tranche de bacon. «Non comestible», précise bien une petite étiquette.

Mais parfois le rendu trop parfait d'un plat peut avoir l'effet inverse à celui recherché.

«Quand je vois ça, ça me donne tout de suite l'idée que je ne vais pas aimer», dit Elda Rozencvaag, un touriste israélien perplexe, figé devant la vitrine d'un restaurant.

«Ça a l'air trop bizarre, il y a trop de détails, même plus que sur le vrai plat», dit-il en faisant la moue.

Alberto Pellegrini, lui, trouve ça génial, même si parfois il a tout de même un petit doute sur ce qu'on va lui amener.

«Je pense que ça doit être du poisson», dit-il en pointant du doigt un plat en vitrine.

«Et ça, ça ressemble à une omelette, mais va savoir».

C'était un gâteau de poisson!