De la poutine en Inde? Les grandes découvertes se font toujours par hasard, et j'ai fait cette trouvaille historique en feuilletant le menu du Café Mocha de Bangalore. J'y étais seulement pour un café, mais je me suis juré d'y retourner.

L'occasion s'est présentée quand Niranjan et Basavaraj, mes amis indiens, ont insisté pour m'amener au cinéma voir une comédie en kannada, leur langue maternelle à laquelle je ne comprends évidemment pas un traître mot.

 

Je leur ai proposé un marché: je vais voir votre film si vous venez manger de la poutine avec moi.

«De la quoi?»

On est allés sur Google voir des images de la chose. Devant leur air inquiet, j'en ai rajouté.

«C'est probablement la chose la plus grasse que vous ayez jamais mangée. Ça va vous faire comme une boule dans l'estomac. Au Québec, y'en a même qui n'osent pas toucher à ça avant d'avoir quelques bières dans le corps.»

Je les ai pratiquement traînés de force chez Mocha. Là, j'ai examiné le menu plus attentivement.

«La poutine, prononcez foo tayn, est une concoction canadienne-française faite de frites, de sauce et de fromage», pouvait-on lire.

Foo tayn? Bah. Que la prononciation se soit un peu perdue entre les milliers de kilomètres qui séparent Drummondville de Bangalore, c'est un peu normal.

La suite, d'ailleurs, avait de quoi rassurer.

«C'est dégueulasse, c'est salissant, mais c'est délicieux (It's gross, it's messy, but it's delicious).»

Et voilà: de la bonne nourriture de chez nous. Frôlant l'euphorie, j'ai intercepté le serveur et commandé fièrement.

«Trois poutines!

- Trois quoi?

- Trois poutines!»

L'heure n'étant pas au débat linguistique, j'ai dû céder et prononcer à contrecoeur, une bonne dose de dérision dans la voix:

«O.K. d'abord. Trois foo tayn.»

Quinze minutes plus tard, trois assiettes de frites accompagnées d'autant de bols remplis d'une sauce orange genre macaroni Kraft sont atterries sur la table.

J'ai bondi. La sauce? Le fromage?

Le serveur m'a regardé comme si j'étais un parfait demeuré.

«Sauce au fromage», a-t-il répondu du tac au tac, en montrant les bols.

Niranjan et Basavaraj, pendant ce temps, avaient déjà commencé à tremper leurs frites dans la sauce comme des carottes dans une trempette.

Aucun doute possible: j'étais en train de perdre la maîtrise de la situation. Réagissant rapidement, j'ai vidé les bols de sauce dans les assiettes de frites, puis j'ai exigé des fourchettes. Vous ne mangerez peut-être pas de la poutine ce soir, les amis, mais au moins ça va être mou et imbibé.

Nous avons mangé notre soupe aux frites en silence. Clairement, l'expérience n'était pas à la hauteur.

En sortant, Basavaraj a cru bon m'achever d'un coup de poignard en plein coeur.

«Pour le même prix, man, on aurait pu avoir trois gros biryanis.»

J'ai pensé aux immenses assiettes de riz parfumé accompagné de gros morceaux de poulet épicé que nous avions engouffrées ensemble pas plus tard que la veille. Il n'y avait rien à répondre. L'humiliation était totale.

Le film qui a suivi? Les copains ont eu l'excellente idée de choisir une comédie basée sur les dialogues, et j'ai raté strictement tous les gags. Mais entendre les spectateurs rire, applaudir et siffler comme des fous pendant la projection a généré un effet irrésistiblement contagieux. J'ai rigolé presque autant qu'eux.

Un à zéro pour vous, les gars, mais vous aviez l'avantage de la glace. Rendez-vous à Montréal pour la prochaine partie!