Quand son premier enfant est né, en 2006, le chanteur Biz de Loco Locass sortait d'une tournée. Mais le congé parental s'est révélé bien ardu.

«Batlam faisait une pause de Loco Locass parce qu'il tournait le film sur Dédé Fortin, je me demandais comment j'allais nourrir mon enfant, c'était quoi mon avenir, dit-il. En plus, j'ai toujours eu besoin de beaucoup de sommeil et me réveiller la nuit était difficile. Je me suis mis à avoir de la misère à sortir de mon lit. Je ne voyais plus mes amis. Je me fâchais pour rien. À un moment donné, après un an, je me suis rendu compte que je ne me souvenais plus de la dernière fois où j'avais ri. Ma blonde m'a dit: "soit tu vas voir un médecin, soit je te crisse là".»

Le chanteur a mis trois ans à se sortir de sa dépression et il n'est pas encore certain qu'il pourra se passer d'antidépresseurs - il en est à sa deuxième tentative de sevrage. «Il n'y a pas plus égoïste qu'un dépressif, dit-il. Mais l'arrivée d'un enfant, c'est le moment où il faut être le plus généreux possible. C'est dur.» Il a tiré de son épreuve un roman autobiographique, Dérives, qui a lancé sa carrière d'écrivain.

Plus à risque

Tout comme les femmes, les hommes sont aussi plus à risque de dépression quand ils ont un bébé. «Le taux de dépression chez les hommes double dans les neuf mois suivant la naissance d'un enfant», affirme Lisa Underwood, psychologue de l'Université d'Auckland, en Australie, qui est l'auteure principale d'une étude publiée au début du printemps dans la revue JAMA Psychiatry. «On ne peut pas être certain qu'il y a un lien causal, mais c'est très similaire à ce qu'on voit chez les femmes.» Les chercheurs australiens ont suivi 3500 pères depuis le moment de la grossesse de leur conjointe.

Francine de Montigny, professeure de sciences infirmières à l'Université du Québec en Outaouais (UQO) qui se spécialise dans la santé psychosociale des familles, pense que le taux est encore plus élevé.

«D'autres études, avec des échantillons moins grands, ont trouvé des taux de dépression post-partum chez les pères de près de 10 %.»

«L'une de nos études arrivait à un taux de 8 %. Les pères se sentent plus facilement incompétents face à leur bébé, par rapport aux femmes, peut-être parce qu'elles allaitent, parce qu'elles sont plus susceptibles d'avoir joué à la poupée ou d'avoir gardé des enfants.»

L'étude de la dépression chez les nouveaux pères est récente, selon Tuong-Vi Nguyen, une psychiatre du Centre universitaire de santé McGill. «Ça fait seulement cinq à dix ans qu'on en parle. Beaucoup de pères ne reconnaissent pas les signes de dépression. Il faut dire que ça se manifeste plus souvent par de l'externalisation, de la colère, l'intoxication à l'alcool ou au tabac. Souvent, ils vont trouver ça humiliant, ils se disent "ce n'est même pas moi qui ai porté le bébé et qui ai accouché". Quand on leur dit qu'eux aussi ils vivent des changements hormonaux, que leur dépression est causée par des facteurs biologiques, c'est parfois plus facile à accepter.»

La réticence des hommes

Le traitement est aussi plus compliqué. «Les hommes sont souvent plus réticents à parler de leurs émotions. Les pères souvent vont penser: "il y a déjà ma femme qui veut que je parle, je n'ai pas besoin d'un psy en plus". L'aide pour la dépression reflète le fait qu'elle touche plus les femmes. Ça me frappe dans les groupes de soutien qu'on organise pour les couples ayant perdu un bébé. La femme est presque toujours intéressée par les discussions avec d'autres parents ayant vécu une expérience similaire. On entend des histoires horribles, un bébé mort-né à 40 semaines, et la femme qui ne sait plus quoi faire avec son homme qui reste à la maison et boit tout le temps.»

Dans son étude, publiée en 2013 dans le Journal of Affective Disorders, Francine de Montigny a justement observé que perdre un bébé augmente de 2,5 fois le risque d'avoir une dépression post-partum après un autre bébé pour les pères. «Parmi les pères déprimés, la moitié avaient déjà perdu un bébé après une grossesse antérieure. Parmi les pères qui n'étaient pas déprimés, la proportion était la même que dans la population générale, 20 %.»

Mme de Montigny travaille également à de nouvelles approches pour les pères en dépression après la perte d'un enfant.

«Pour moi, par exemple, les psychothérapies de groupe ne fonctionnent pas, il faut que ce soit individuel», affirme Paul.

Paul, qui a demandé l'anonymat, a profité d'un programme mis sur pied par Mme de Montigny après avoir perdu son bébé l'an dernier. «Il faut quelqu'un qui m'explique ce qui se passe, les étapes du deuil. Je suis quelqu'un de pragmatique. La psy me donne des pistes que je suis libre d'essayer ou pas.»

Par contre, ni Biz ni Paul n'ont eu la tentation de l'alcool ou de la violence. «Au tout début, pendant les deux premiers jours, j'ai été violent envers moi-même, mais après, plus rien, dit Paul. Ce que j'ai vu par contre chez d'autres hommes dans ma situation, c'est un déni parce qu'ils veulent être les piliers de leur famille dans cette épreuve.» Paul a deux autres enfants plus vieux et Biz a eu un deuxième enfant, une fille, en 2010.

Chiffres

2,3 %: proportion des pères attendant un enfant qui ont un diagnostic de dépression

4,3 %: proportion des nouveaux pères qui ont un diagnostic de dépression

6,4 fois: augmentation du risque de dépression chez les nouveaux pères qui vivent séparément de la mère de leur enfant avant qu'il ait 9 mois

Source: JAMA Psychiatry

D'autres informations

L'aide des pairs

«Plusieurs programmes mis sur pied pour aider les pères souffrant de dépression postnatale misent sur les pairs, parce que souvent, les hommes sont inconfortables avec les aspects interpersonnels des psychothérapies individuelles ou de groupe, dit le psychiatre Tuong-Vi Nguyen, de McGill. Il y a le modèle des AA, où on a un mentor qu'on peut appeler quand ça ne va pas. Il y a aussi le modèle des Men's Shed [hangar pour hommes], un concept australien où des hommes se retrouvent dans un lieu pour faire des activités comme le bricolage, la rénovation, la fabrication de meubles.»

Pleurs et testostérone

«Quelques études ont montré qu'un homme qui entend un enfant pleurer voit son taux de testostérone chuter, dit la psychiatre Tuong-Vi Nguyen. C'est encore plus marqué quand c'est son propre enfant qui pleure. J'ai un projet de recherche sur les facteurs qui peuvent influencer le sperme avant la conception.»

L'anxiété avant la conception

«Des études ont démontré qu'un père stressé qui boit et fume pour se calmer peut avoir des modifications à ses spermatozoïdes à cause de l'alcool et du tabac, dit la psychiatre Tuong-Vi Nguyen, de McGill. Ça peut affecter le développement de son enfant. On en a eu la preuve chez l'animal, on est en train de bâtir une cohorte pour vérifier ça chez l'humain.»

Faites le test

La plupart des études sur la dépression postnatale utilisent une échelle mise au point en Écosse dans les années 80. Elle consiste en 10 points.

http://www.lavieavecunnouveaubebe.ca/resources/EPDS_checklist_fr.pdf