La vague du zéro déchet a aussi atteint le domaine des menstruations. Une panoplie de solutions de rechange au traditionnel tampon est maintenant offerte aux femmes, des coupes aux culottes menstruelles en passant par les serviettes lavables. Mais un autre courant, un peu moins répandu, fait aussi son lot d'adeptes : le flux instinctif. Il ne requiert aucune protection, seulement de l'intuition. Explications.

C'est la curiosité qui a poussé Érica Athena Lebrun à essayer le flux instinctif, dont elle entendait parler depuis quelques années. La méthode, aussi appelée free flow, consiste à passer à travers les menstruations sans aucune protection et de laisser écouler le flot aux toilettes au moment propice.

Comment savoir que c'est le temps d'aller faire un tour à la salle de bains? Il s'agit d'un apprentissage, qui peut s'étaler sur plusieurs cycles, où l'on doit apprendre à détecter les signaux du corps.

Physiologiquement, lorsque l'utérus se contracte, c'est qu'il est prêt à laisser aller le contenu. Avec l'entraînement, il est possible de détecter ce signal, mais il faut être à l'écoute. «C'est subtil, lance la sage-femme Gabrielle Dallaire, qui pratique aussi le flux instinctif à l'occasion. Il faut vraiment l'expérimenter pour comprendre... Parce qu'au final, c'est un conditionnement.»

Mais attention, on ne peut pas se retenir, comme pour une envie d'uriner, poursuit la sage-femme. «Le col de l'utérus, ce n'est pas du tout comme l'urètre. On ne pourrait pas dire: "Ça n'adonne pas, je ne peux pas aller aux toilettes." À un moment donné, le corps envoie des signaux, comme à un accouchement. Ce n'est pas nous qui décidons, à un certain point.»

L'idée est donc d'avoir une toilette à proximité pour aller relâcher le flot lorsque le besoin se fait sentir.

Sans trop de dégâts

Alors, le verdict d'Érica? «J'ai été surprise de voir à quel point c'est véridique. Le free flow m'a appris qu'il était possible d'avoir une connexion plus grande entre moi et mon utérus», lance la jeune femme, cofondatrice de l'entreprise Mme L'Ovary, qui vend des culottes menstruelles. De concert avec son associée Olivia Elting, elle donne des conférences pour mieux vivre les menstruations. Le flux instinctif fait partie des solutions zéro déchet qu'elles mentionnent, avec la coupe et les culottes menstruelles.

La méthode est controversée, mais elle semble fonctionner pour celles qui l'essaient. «Il y a vraiment deux camps, ajoute Érica. Il y en a qui disent que c'est impossible de retenir ça, qu'on n'a pas les muscles pour le faire.» Et de l'autre côté, il y a toutes celles qui le pratiquent et qui affirment n'avoir jamais eu à affronter de «gros dégât».

C'est le cas de Claire Do, auteure du blogue zéro déchet Bicar & co., qui pratique le flux instinctif depuis environ un an. Elle travaille le plus souvent de sa maison de Reims, en France, ce qui lui facilite la vie, convient-elle. Mais à part une petite fuite la toute première nuit où elle l'a essayé, les choses se passent maintenant assez bien. «Les premières fois, je ne comprenais pas pourquoi je me réveillais la nuit», raconte-t-elle, jointe au téléphone. Maintenant, elle sait que c'est le signal que son corps lui envoie pour aller à la salle de bains. Et ça fonctionne à tout coup !

De l'avis de toutes, il est important de ne pas avoir de protection lorsqu'on s'exerce parce que sinon, le corps est conscient qu'il y a un filet. Gabrielle Dallaire croit que cet effet est véridique, mais elle y apporte toutefois un petit bémol: ce principe n'est bien sûr pas toujours réaliste à appliquer. 

«Si ça intéresse une femme de l'expérimenter, elle ne restera sûrement pas chez elle pendant toute la durée de ses menstruations! Déjà, d'avoir la volonté de l'essayer, c'est un pas, et il y a quelque chose dans la conscience qui va s'ouvrir.»

Il n'y a donc aucun mal à porter un protège-dessous pour se sécuriser mentalement, au besoin, résume la sage-femme.

Mais c'est aussi grâce à cette absence de protection que les règles pourraient s'avérer moins longues. Claire Do affirme qu'au lieu de durer sept jours, ses menstruations s'étalent plutôt sur cinq, et elle s'épargne les deux derniers jours de flot beaucoup plus léger.

Érica Athena Lebrun, qui a constaté sensiblement la même chose, l'explique par le fait que le contenu des menstruations est mieux réparti dans le temps: au lieu de couler toujours un peu en continu, il se relâche à des moments précis, ce qui rend les règles un peu plus... «efficaces», si l'on peut s'exprimer ainsi.

«En général, quand on a une protection, ça va couler un bon coup et, après, il y a un petit filet ou des petites gouttes qui peuvent toujours s'échapper un peu, parce qu'on reste comme relâchée, explique la sage-femme Gabrielle Dallaire. Alors qu'une femme qui pratique le flux instinctif va se relever quand ça ne coule plus et, en pleine conscience, va laisser fermer son périnée - sans que ce soit excessif, bien sûr.» C'est cette contraction du périnée qui va permettre de tenir jusqu'à la prochaine sortie à la salle de bains, sans le petit écoulement constant.

Bien sûr, après un accouchement, il faut laisser le temps au périnée de retrouver la forme.

La conscience du corps

Aussi, certaines femmes qui se mettent au flux instinctif par souci écologique réalisent soudain qu'elles en retirent d'autres avantages. «En l'expérimentant, les femmes se rendent souvent compte que leur motivation devient intrinsèque. Elles se sentent davantage en connexion avec leur corps et ont plus conscience de ce qui s'y passe», illustre Gabrielle Dallaire.

Pour Érica Athena Lebrun, le free flow lui permet d'avoir une meilleure relation avec ses règles. Au lieu de les subir comme une fatalité qui lui tombe dessus chaque mois, elle apprend à les accepter en toute conscience. «Ça donne confiance en soi de n'être dépendante de rien. Et ça m'a aussi réconciliée avec le phénomène.»

Une pratique dangereuse?

La pratique du flux instinctif peut-elle s'avérer dangereuse pour les femmes? «Non, tranche la Dre Laurence Simard-Émond, obstétricienne-gynécologue au CHUM. S'il y a du sang conservé dans le vagin, ce n'est probablement pas en grande quantité, ni pour une longue durée.» Selon elle, tant qu'il n'y a pas de lésions dans le vagin, il n'y a pas de risques d'infections. Elle fait d'ailleurs un parallèle avec la nuit, où le sang a davantage tendance à rester dans le vagin plutôt que de couler dans la protection. «Souvent, les patientes qui sont menstruées vont rapporter que c'est surtout le matin, quand elles se lèvent, que le sang coule. Donc le flux instinctif n'est pas plus dangereux que ça», conclut-elle.

photo tirée du facebook

Érica Athena Lebrun