Dans une salle éclairée d'une belle lumière naturelle, Marika Perrault, 26 ans, berce avec amour son petit Hugo. Très éveillé, le poupon babille et regarde dans toutes les directions. Il y a trois mois, la jeune femme a accouché dans l'eau, ici même, à la maison de naissance du Haut-Richelieu. C'était à peine un mois après l'ouverture attendue de l'établissement, en octobre. Depuis, 56 bébés y sont nés.

«J'ai adoré l'expérience. Je suis une ancienne nageuse de compétition, alors ça m'a aidée de faire le travail dans l'eau. Je me sentais dans une bulle tout en étant entourée d'une présence féminine réconfortante, de femmes compétentes. Mon conjoint était toujours à mes côtés, tenant ma main. On a respecté mon rythme.» Hugo est né le 23 novembre à 15h, après quatre heures de travail.

Marika s'est déplacée sur le grand lit pour l'expulsion du placenta. C'est là que la sage-femme a fait sa suture. Pour le souper, une petite table avait été montée pour le couple dans la cuisine commune, avec un choix de trois menus.

La maison de naissance du Haut-Richelieu est la plus récente maison de naissance du Québec. Ici, on laisse les bottes à l'entrée et on enfile des pantoufles de Phentex. L'ambiance est feutrée, chaleureuse. Tout est neuf, propre, décoré au goût du jour. En visitant les quatre chambres, on a l'impression d'être dans un hôtel boutique, ou presque. Un petit berceau est placé tout près de chaque lit. Écharpes de suspension colorées, gros ballons et bancs de naissance complètent le décor épuré. Un chariot contenant le matériel médical nécessaire à l'accouchement est dissimulé dans les salles de bains modernes. Les miroirs, pas très à propos au moment des poussées, ont été retirés des murs.

La maison emploie six sages-femmes qui alternent les tours de garde. Elles seront deux de plus dans quelques années. Les sages-femmes font le suivi prénatal, l'accompagnement au moment de l'accouchement et le suivi postnatal jusqu'à 6 semaines. Des aides natales complètent l'équipe.

«Pendant l'accouchement, notre rôle est de nous assurer que tout se déroule normalement, de vérifier les signes vitaux, mais surtout de faire en sorte que la femme soit dans son cocon, centrée sur ses sensations. La pratique sage-femme, c'est un peu l'art de ne rien faire», indique Christine St-Onge, responsable sage-femme à la maison du Haut-Richelieu.

Chaque accouchement est différent. Marika aurait tout aussi bien pu accoucher à quatre pattes dans le lit ou au sol, aidée de l'écharpe de suspension, ou sur le petit banc de naissance ou debout un pied sur le lit. «Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise position, chaque femme sait ce qui lui convient, c'est instinctif. Nous, on suit. On doit être en forme», dit Mme St-Onge.

Parfois, des pépins se présentent à la naissance. Rarement la situation est grave. «Comme les femmes que l'on suit sont à la base en bonne santé et n'ont eu aucune complication de grossesse, on élimine beaucoup de facteurs de risque», indique la responsable. Les sages-femmes ont néanmoins une formation en réanimation néonatale. L'équipement, dont la table de réanimation et l'oxygène, est dans une petite pièce à proximité des chambres. On trouve aussi une civière et un incubateur en vue d'un transfert en ambulance à l'hôpital. Le plus près est à 20 minutes.

Dans les maisons de naissance, un accouchement sur six se termine à l'hôpital. «Le plus souvent, il s'agit d'un premier accouchement. La maman va bien, le bébé va bien, mais le travail n'avance pas. On la transfère alors. Contrairement à celles des autres provinces, les sages-femmes québécoises n'ont pas le droit d'administrer de l'ocytocine.»

Effectif réduit

Tout comme l'a fait Marika Perrault, plus d'une Québécoise sur quatre souhaiterait accoucher, avec une sage-femme, en maison de naissance ou à domicile. C'est ce qu'indique un sondage Crop réalisé en 2010 pour le compte de la CSN. En réalité, à peine 1,7% des accouchements se déroulent à l'extérieur des hôpitaux. Le nombre de maisons de naissance se compte sur les doigts des deux mains. À peine 160 sages-femmes pratiquent au Québec.

«Il y a une volonté ministérielle et un plan mis de l'avant pour que 10% de l'ensemble des naissances se déroulent avec des sages-femmes, indique Marie-Ève St-Laurent, présidente de l'Ordre des sages-femmes du Québec. On est encore loin de cet objectif. Il y a des régions où les listes d'attente sont très longues. Parfois, les femmes ne s'inscrivent même pas parce qu'elles sont découragées.» À Montréal, une femme a accès à une sage-femme pour quatre sur les listes d'attente.

Il y a une volonté d'augmenter l'offre de services. La Politique de périnatalité 2008-2018 du ministère de la Santé et des Services sociaux prévoit que le Québec comptera 18 maisons de naissance en 2018. Actuellement, il en existe 10. Seulement en Montérégie, on vise l'ouverture de quatre nouvelles maisons de naissance, qui viendront s'ajouter à celle du Haut-Richelieu.

L'objectif est-il réaliste? «On accuse un retard sur ce qui est souhaité», confirme Raymonde Gagnon, responsable du baccalauréat en pratique sage-femme à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), le seul au Québec. «Mais la visée est d'atteindre l'objectif le plus rapidement possible en tenant compte des contraintes présentes.»

Les diplômées sortent au compte-gouttes. Parce que la profession est récente (légalisée en 1999), les sages-femmes expérimentées sont peu nombreuses et les milieux de stage sont rares. Or, les étudiantes doivent accumuler plus de 2000 heures de stage. Compte tenu de ces limites, l'UQTR n'admet que 20 étudiantes par année sur un total de 70 à 80 demandes d'admission. Là-dessus, à peine 15 termineront le programme. «C'est peu, mais c'est tout de même le double de ce qu'on voyait les premières années.»

Selon Isabelle Brabant, sage-femme et auteure d'Une naissance heureuse, la nature même de la profession devient une limite. «C'est une profession féminine et, par définition, les femmes s'intéressent à la maternité. Énormément d'étudiantes et de sages-femmes s'interrompent parce qu'elles ont deux ou trois bébés. On ne peut pas leur en vouloir, mais ça laisse un vide. Tout ça fait que le nombre de sages-femmes en pratique n'augmente pas autant qu'on voudrait. On peine même à trouver du personnel pour les remplacements d'été.» «Le nombre de sages-femmes croît lentement par rapport aux demandes accrues de la clientèle, reconnaît Mme Gagnon. Plus ça ira, plus on pourra admettre d'étudiantes.»

Pour Marie-Ève St-Laurent, «il faudrait un plan d'action concerté» notamment avec le ministère de la Santé, l'UQTR, l'Ordre des sages-femmes et le Regroupement des sages-femmes. «La politique ministérielle nous dit ce qui est espéré, mais pas comment le faire au meilleur de la situation.»

Selon Isabelle Brabant, «si une femme veut l'accouchement le plus techno, c'est à portée de main. Le chemin est difficile pour celles qui veulent sortir de cette norme». Il ne s'agit pas de faire une religion de l'accouchement avec sage-femme, souligne-t-elle, mais plutôt d'offrir un éventail de choix pour que les futures mères puissent accoucher comme elles l'entendent. À l'hôpital, en maison de naissance ou à domicile.

Marika n'a jamais regretté son choix et elle compte bien répéter l'expérience... au moins trois fois. Le couple veut une famille nombreuse. «La maison de naissance n'est pas pour toutes les femmes. Certaines préfèrent être prises en charge, moi, je voulais être en contrôle. Jamais je ne me suis sentie comme un numéro. J'ai eu l'impression d'être écoutée et d'avoir le temps d'exposer mes craintes.» À son réveil au lendemain de l'accouchement, une aide natale préparait des crêpes. «Préférez-vous des oeufs?», a-t-elle demandé à Marika.