Les grimpeurs passionnés aimeraient bien passer tout leur temps sur les parois rocheuses ou dans les centres d'escalade intérieurs. Comme ce n'est pas possible, certains se sont installés des murs d'escalade à la maison. Ainsi, la passion peut aussi se vivre à domicile.

Un foyer où l'on grimpe est un foyer heureux

Yann Camus a repéré Eve-Marie Desjardins sur un site de rencontre parce qu'elle avait indiqué qu'elle aimait l'escalade.

«Pour l'attirer, je lui ai dit: viens-tu voir mon mur d'escalade?», raconte-t-il.

Le stratagème semble avoir fonctionné: le couple est maintenant marié et la famille comprend deux petits grimpeurs additionnels: Albert, 6 ans, et Emmanuelle, 2 ans et demi.

Yann Camus a développé une passion pour l'escalade dès l'âge de 12 ans, à l'occasion d'un voyage dans les Alpes avec sa mère. Ce n'est toutefois qu'à l'âge de 19 ans, lorsqu'il s'est inscrit à l'Université de Montréal, qu'il a pu commencer à grimper sérieusement.

Il s'est installé un mur d'escalade chez lui, en appartement (en veillant à ne pas faire de trous dans les murs), puis en condo. «Ça me permet de grimper plus souvent durant la semaine, explique Yann Camus, un ingénieur spécialisé dans l'estimation des ressources naturelles. Ça me permet aussi de m'entraîner à faire des mouvements particulièrement difficiles.»

Il invite aussi des amis grimpeurs. «On se fait des défis, on se fait des jeux au lieu de regarder la télévision.»

Lorsqu'est venu le temps de s'installer avec Eve-Marie Desjardins, une ostéopathe (qui, sans surprise, a rédigé son mémoire sur les grimpeurs), le mur d'escalade faisait partie des plans.

«Nous avons visité 60 maisons. Nous avions de la difficulté à trouver une place où on pouvait faire entrer un mur», se souvient Eve-Marie Desjardins.

Le couple a finalement décidé de se faire construire une maison à Blainville, en modifiant les plans de façon à installer un mur d'escalade faisant deux étages dans la salle à manger. À la demande du couple, l'entrepreneur a renforcé le mur de la maison pour que tout soit bien solide. Yann et Eve-Marie ont opté pour du merisier russe pour le mur d'escalade, encore une fois pour une question de solidité. «Nous avons payé un peu plus cher, indique Yann Camus, qui exploite avec sa conjointe une petite entreprise de formation en escalade, Blissclimbing. Nous avons aussi verni le bois pour que ce soit plus beau dans la pièce.»

Pour toute la famille

Albert et Emmanuelle se sont rapidement intéressés au mur et à ses prises multicolores. La petite a commencé à grimper toute seule, comme une grande. Mais lorsqu'elle arrive à une certaine hauteur et qu'elle est inconfortable à l'idée de tomber, elle appelle sa mère ou son père. Pas pour se faire ramener au sol, mais pour continuer de grimper avec des mains secourables à proximité.

«Est-ce que tu aimes grimper?», demande Eve-Marie à la petite.

Emmanuelle demeure muette.

«Est-ce que tu aimes grimper avec papa?», reformule sa mère.

«Ouiiiii!»

Yann Camus continue à utiliser le mur, notamment pour des projets spéciaux. Il revient tout juste du parc de Yosemite, en Californie, où il a affronté El Capitan, une voie renommée de 900 m de hauteur. Il s'est entraîné sur son mur en simulant les divers relais. «C'est la gestion de la corde, la gestion des relais, qui prend du temps», explique-t-il.

La petite famille a mis la maison en vente. Le plan : partir à l'aventure en véhicule récréatif. L'acheteur pourra garder le mur s'il le désire, ou le faire enlever pour mettre une autre décoration à la place.

Quant au véhicule récréatif, il risque fort d'être orné d'un beau mur d'escalade à l'arrière.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Albert, 6 ans, et Emmanuelle, 2 ans et demi, se sont déjà mis à l'escalade.

De la maison aux grandes expéditions

Guillaume Michaud aime les grandes voies légendaires, celles qui ont fait rêver des générations de grimpeurs. Mais pour s'y frotter, il faut s'entraîner sérieusement. Heureusement, il n'a pas besoin d'aller bien loin pour faire de l'escalade: il peut compter sur trois modules d'entraînement à la maison, ce qui lui permet de gagner beaucoup de temps.

Gagner du temps

«J'ai un horaire chargé, explique-t-il. Si j'ai 20 minutes de libres au retour du boulot, ou le matin avant de partir, je peux faire 20 minutes d'entraînement parce que j'ai zéro temps de déplacement.»

Évidemment, ce qu'il préfère, c'est grimper dehors sur de la vraie roche. Mais en hiver, il doit se tourner du côté des centres d'escalade intérieurs et de son propre petit centre personnel.

S'entraîner pour Yosemite

Lorsque Guillaume Michaud a fait construire sa maison, il a demandé à l'entrepreneur de lui faire un mur d'entraînement, selon ses spécifications, avec ce qui restait comme retailles de bois. Il a ajouté diverses prises et réglettes.

«C'est probablement le type d'entraînement le plus intéressant pour pousser sa cote [le degré de difficulté qu'un grimpeur peut atteindre], affirme M. Michaud. Ça permet d'aller chercher de la force dans le tronc et dans les doigts.»

Guillaume Michaud s'est notamment entraîné pour gravir El Capitan, une voie de 900 m au parc de Yosemite. Son but était de parcourir cette voie mythique en une seule journée, à deux reprises. Normalement, il faut quelques jours à d'excellents grimpeurs pour vaincre El Capitan.

Une fissure sur sa maison

Grimper le long d'une fissure est une technique d'escalade avancée qu'on peut difficilement pratiquer dans un centre d'escalade intérieur. Or, c'est une technique que Guillaume Michaud affectionne particulièrement.

«Nous avons passé le 31 décembre dernier dans une longue voie au parc de Zion: c'est une fissure continue qui fait une dizaine de longueurs de corde, soit environ 400 m», s'enthousiasme-t-il.

Il a donc fabriqué une fissure sur un coin de sa maison à partir de ce qui restait du bois de la façade. «Elle est sculptée au ciseau à bois et j'ai ajouté de la poudre de verre à la peinture pour lui donner un peu d'abrasion.»

La tête en bas

Le Toit de Ben est une voie réputée, et affreusement difficile, du site d'escalade de Val-David. Pendant la deuxième longueur, le grimpeur doit évoluer sous un toit en coinçant ses mains et ses pieds dans une fissure parfaitement horizontale.

Pour s'entraîner pour ce défi, Guillaume Michaud utilise une poutre de bois, munie d'une fissure, qu'il peut positionner à divers angles. «Ce qui est problématique, c'est qu'on met beaucoup de pression sur le bois avec les mains et les pieds. Il a fallu prévoir cela pour que le bois ne travaille pas trop et ne s'écarte pas. Parce qu'en escalade, la roche, elle, ne travaille pas.»

Les mains à l'ouvrage

Guillaume Michaud est chirurgien. Il ne craint pas d'abîmer ses mains avec l'escalade de haut niveau.

«Ça fait plus de 10 ans que je fais de l'escalade traditionnelle. Je pousse la machine. On revient parfois avec de petites abrasions sur les mains, mais j'ai vu pas mal plus de monde se blesser en vélo de route.»

Le grimpeur pratique d'autres activités physiques, mais surtout dans le but d'améliorer sa forme pour l'escalade. Il faut travailler sur le cardio et la musculation. «Pour moi, l'escalade est un sport complet. On peut faire deux ou trois heures de marche d'approche avec un sac à dos de 20 kg, on grimpe, puis on hisse le sac pour camper en paroi.»

PHOTO SYLVAIN MAYER, LE NOUVELLISTE

Le mur d'entraînement de Guillaume Michaud

Ça prend une bonne proprio

Ça ne fait que deux ans que Carl Chrétien grimpe, mais déjà, c'est un passionné.

«Avant, je faisais toutes sortes de sports, à gauche et à droite. Mais quand je suis tombé sur l'escalade, j'ai sauté une coche, c'est devenu une passion. J'en fais cinq fois par semaine.»

Il aime cette discipline qui demande une grande concentration. «C'est fou comme on peut évoluer», s'enthousiasme-t-il. Un problème qui semble insoluble une semaine peut être vaincu la semaine suivante.

Il fait de la grimpe sur bloc (des murs bas qui ne nécessitent pas l'utilisation de cordes) au Bloc Shop, à Montréal, et de la grimpe sur voies (de hauts murs qui nécessitent l'encordement) au Crux, à Boisbriand. Le trafic peut parfois être pénible.

Il y a quelques semaines, il a décidé de se faire un mur d'escalade à la maison. Une colocataire avait déménagé, la petite chambre qu'elle occupait servait simplement de salle de débarras. L'autre colocataire restant, le chat Roméo, ne prenait pas grand place.

«Avant de commencer la construction, j'ai demandé la permission à ma proprio. C'est une question de respect.»

Les bonnes relations tissées avec elle au cours des quatre dernières années ont payé. La propriétaire a accepté. «Elle voulait toutefois s'assurer que ce serait solide. Et puis, comme dans tout bail, il fallait promettre de boucher les trous à mon départ.»

Littéralement «fait maison»

Carl Chrétien, un gérant de chantier, est habile de ses mains. Il a construit son mur de A à Z. «J'ai regardé ce que je pouvais trouver sur l'internet au sujet de la structure des murs, raconte-t-il. Par la suite, c'était simplement une question de gros bon sens. Il faut visser dans les solives et non dans le gypse.»

Il a incliné son mur de 30 degrés pour augmenter le degré de difficulté. «Je l'aurais incliné encore davantage, mais il y avait un luminaire au plafond. Je ne pouvais pas aller plus loin.»

Ça ne lui a pris que deux heures pour installer la structure et encore deux heures pour installer les feuilles de contreplaqué. Le matériel n'a coûté que 400 $. Mais ce montant ne comprend pas les prises d'escalade, beaucoup plus coûteuses que ce qu'on pourrait penser. «J'ai 1200 $ de prises sur le mur actuellement», soupire M. Chrétien. En trois semaines, il a déjà changé les prises à deux reprises afin de varier l'entraînement.

Le fameux mur suscite la curiosité et l'intérêt de ses amis. «Avant d'aller prendre une bière, on s'essaie.»

Comme bien des chats, Roméo doit certainement aimer l'escalade. Mais pas nécessairement au point de suivre son maître sur son parcours incliné.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Carl Chrétien a construit lui-même son mur d'escalade, avec l'accord de sa propriétaire.