Des millions de personnes dans le monde utilisent leur téléphone intelligent pour analyser la qualité et la durée de leur sommeil. Mais les applications de suivi de sommeil sont-elles vraiment fiables ? Discussion avec des spécialistes et banc d'essai.

Une analyse du sommeil... non validée

Pour analyser le sommeil, la méthode de référence est l'électroencéphalographie. Le procédé est à l'image du terme : complexe. Les patients doivent dormir (en laboratoire ou chez eux) avec plusieurs petites électrodes collées à leur cuir chevelu, ce qui permet d'enregistrer les ondes du cerveau, qui changent en fonction des stades de sommeil.

À côté de cela, pour quelques dollars seulement (voire gratuitement), il est possible de télécharger sur son téléphone des applications qui analyseraient elles aussi la durée et la qualité du sommeil... et qui sont simples comme bonjour. Il suffit de placer le téléphone sur sa table de chevet ou sur son matelas. Grâce à son microphone ou encore à son accéléromètre, le téléphone enregistre les mouvements du dormeur et déduit ainsi les stades de son sommeil. Au petit matin, les résultats s'affichent dans un graphique.

«Dans le graphique, on voit les périodes de sommeil profond et de sommeil léger, explique Nancy Théberge, une résidante de la Rive-Sud qui utilise l'application Sleep Cycle depuis plus d'un an. On te dit, par exemple: "Aujourd'hui, vous avez dormi 6 h 38 min et votre qualité du sommeil est à 70 %."»

Chaque matin, Nancy Théberge se fait réveiller par un air de guitare classique quelque part entre 5 h 45 et 6 h 15. Sleep Cycle - comme plusieurs des applications du genre - soutient qu'il peut détecter le sommeil paradoxal (lorsqu'on rêve) et réveiller les utilisateurs lors de cette phase pour que le réveil se fasse en douceur, «au bon moment».

«C'est plus difficile de te réveiller quand tu es vraiment dans ton sommeil profond. Pour moi, ça fonctionne. Est-ce que c'est parce que j'y crois? Je ne le sais pas», indique Nancy Théberge, qui a téléchargé l'application par curiosité, et non en raison d'un trouble du sommeil.

Trop beau pour être vrai?

«Si on pouvait trouver un moyen de détecter les stades de sommeil sans avoir à coller des électrodes sur la tête, ce serait merveilleux», dit Julie Carrier, professeure au département de psychologie de l'Université de Montréal et directrice scientifique du Centre d'études avancées en médecine du sommeil à l'hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. D'ailleurs, souligne-t-elle, des projets de recherche en cours visent à trouver un dispositif et un algorithme qui permettraient d'analyser le sommeil en se basant sur plusieurs paramètres simultanément, tels le rythme cardiaque, le rythme respiratoire, les mouvements et la position du corps.

Or, souligne-t-elle, à ce jour, «on n'en est pas encore là». Et aucune des applications censées analyser la qualité et la durée du sommeil n'a fait l'objet de validation scientifique, avertit Julie Carrier.

«Ce qui me choque beaucoup, c'est qu'il y a du monde qui fait du cash avec ça [les applications] sans que ce soit validé. Ils savent que les gens sont préoccupés de leur sommeil et ils vendent toute sorte d'applications qui vont donner une certaine impression de leur sommeil.»

Tout ce que ces applications vont montrer, dit-elle, c'est «à quelle heure vous avez mis votre appareil dans votre lit et à quel point vous avez bougé pendant la nuit». Sans compter le fait que, malgré les prétentions des développeurs, les résultats ne peuvent être que biaisés lorsqu'on partage le lit avec quelqu'un, souligne le psychologue Roger Godbout, qui doute lui aussi de la validité de ces applications. «C'est une estimation, qui peut être bonne, mais qui n'a pas été contre-vérifiée avec des équipements», dit M. Godbout, professeur de psychiatrie à l'Université de Montréal et directeur du Laboratoire et clinique du sommeil de l'Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies.

Quant à la prétention de pouvoir réveiller quelqu'un lors du sommeil paradoxal, Roger Godbout n'y voit rien de moins que de la «foutaise». «On le fait, des fois, au laboratoire, souligne-t-il. On essaie une application avec quelqu'un qui dort, et on voit bien que ça ne colle pas du tout. Ça prend plus de paramètres que ça.»

Anxieux: tenez-vous loin

Roger Godbout n'a rien contre l'idée d'autoévaluer ainsi son sommeil si cela incite les utilisateurs à améliorer leur hygiène de sommeil (qui, à ses yeux, est trop souvent négligée). Ces applications ont tout de même l'avantage de recenser les heures de coucher et de lever.

Les gens qui souffrent d'insomnie, par contre, devraient s'en tenir loin, selon Julie Carrier. «Pour ceux qui ont de la difficulté à s'endormir ou à rester endormis, la pire chose à faire, c'est de devenir encore plus préoccupés par son sommeil», dit-elle.

Aux yeux de Roger Godbout, si on croit souffrir d'un trouble du sommeil, mieux vaut imprimer un modèle de journal de sommeil et le remplir à la main, chaque matin, pendant deux à trois semaines. Non seulement on peut aussi obtenir les mêmes résultats qu'avec une application, mais cela permet de s'approprier un peu le problème, «sans le pitcher à quelqu'un d'autre, à une pilule ou à un équipement», conclut-il.

Des bracelets... non validés

En plus des applications pour téléphone intelligent, on trouve sur le marché des dispositifs qui prétendent aussi analyser les stades de sommeil. Le Fitbit, le Microsoft Band et l'UP2 de Jawbone sont des bracelets qui évaluent les mouvements pendant la nuit pour déduire la qualité et la durée du sommeil. Encore là, ces dispositifs n'ont pas fait l'objet de validation scientifique, indiquent Roger Godbout et Julie Carrier.

Des applications populaires

Nous avons essayé quatre applications destinées à analyser la qualité et la quantité de sommeil. Voici leurs différentes fonctionnalités.

Sleep Cycle

Android et iOS

Gratuit, mais abonnement Premium de 34,99 $ par année

Méthode de détection: microphone (sons) ou accéléromètre (mouvements), au choix

Sleep Cycle est la plus ambitieuse des applications que nous avons testées: après la nuit, un graphique indique, d'heure en heure, l'évolution des stades de sommeil (éveil, sommeil, sommeil profond) et donne une note en pourcentage évaluant la qualité du sommeil. On peut aussi consulter les tendances à long terme (qualité de sommeil, heure de coucher, temps passé au lit) et programmer une alarme censée s'activer lors du sommeil paradoxal.

iSommeil

Android et iOS

Gratuit

Méthode de détection: microphone et/ou accéléromètre, au choix

Conçue par des spécialistes du Centre du sommeil de l'Hôtel-Dieu de Paris, iSommeil est moins esthétique que les autres, mais elle a le mérite de s'en tenir aux faits, sans prétendre déduire les stades de sommeil. Après la nuit, elle offre deux analyses. Il y a celle des ronflements, qui permet de réécouter facilement les passages et de suivre les apnées du sommeil. Et il y a celle des mouvements, qui donne une idée des stades de sommeil. L'application déduit aussi le temps de sommeil et le temps d'endormissement.

Sleep Time

Android et iOS

Gratuit, mais abonnement Premium de 39,99 $ par année

Méthode de détection: accéléromètre

Au matin, Sleep Time génère un graphique et calcule à la minute près (rien de moins) le nombre d'heures de sommeil total, de sommeil léger et de sommeil profond. On précise aussi le taux d'efficacité du sommeil, c'est-à-dire les heures de sommeil par rapport aux heures passées au lit. Avant de mettre en marche, on peut cocher des balises (caféine, repas tardif, alcool, journée stressante, sport avant le coucher, etc.). Cela permet, à long terme, d'avoir une idée de l'impact que peuvent avoir ces habitudes sur le sommeil. Sleep Time prétend aussi pouvoir éveiller l'utilisateur pendant une phase de sommeil léger.

SleepBot

Android et iOS

Gratuit

Méthode de détection: microphone et/ou accéléromètre, au choix

À l'instar des autres applications, SleepBot génère un graphique après avoir enregistré les sons et le mouvement pendant la nuit. En gros caractères, on peut lire sa «dette» de sommeil, c'est-à-dire les heures de sommeil qu'il manque pour atteindre sa durée de sommeil optimale (un peu angoissant!). L'application permet de générer divers types de graphiques pour analyser les tendances à long terme en matière de sommeil. Une option propose d'enregistrer les sons pour réécouter des passages le lendemain matin. SleepBot prétend aussi pouvoir éveiller l'utilisateur dans son sommeil léger.

image tirée de l’application

Sleep Cycle