Salamandre: nom donné à un petit amphibien doté d'une extraordinaire capacité à régénérer ses membres après en avoir été amputé et qui, par un étonnant don de la nature, demeure indemne après avoir traversé le feu. Ce symbole de reconstruction est tatoué sur le cou de celle qui a su renaître de ses cendres. Priscille Deborah est une femme salamandre.

Celle qui nous accueille a le regard lumineux, la rigolade facile et une apparente légèreté à travers lesquels il est difficile de déceler un destin tragique. Tout en s'appuyant sur sa canne, du seul bras qui lui reste, elle s'avance vers nous du pas lourd et lent que lui imposent désormais les prothèses qui lui servent de jambes.

Dans une autre vie, la dame faisait tourner les têtes, accumulait les réussites et elle courait. Vite! Avant que la dépression ne la rattrape... En apparence, cette femme de carrière accomplie, débordée, nouvelle maman et épouse d'un mari charmant avait tout ce qu'il faut pour être heureuse. Mais «tout» ne veut rien dire quand on sent le vide en soi.

Lentement, sournoisement, le mal de vivre s'est installé. Jusqu'à devenir insoutenable... Après quelques appels au secours, des tentatives de suicide ratées, des thérapies qui la renvoient dans le circuit trop tôt et la prise de médicaments qui lui donnent l'impression «d'être encore plus à côté de la plaque», elle commet l'impensable. Un matin, après avoir laissé sa fille à la garderie, elle dépose son sac à main et sa bague sur le quai du métro de Paris, dans un rituel solennel, et se lance sur la rame.

Au réveil, l'électrochoc. Non seulement est-elle toujours en vie, mais son corps est maintenant celui d'une femme-tronc. La dépression, plus profonde encore, à laquelle s'ajoute la souffrance physique, est d'autant plus intolérable qu'elle n'est plus assez autonome pour y mettre un terme définitivement.

Elle n'a pas encore 32 ans. Trop jeune pour ne plus courir, sauter, danser, prendre son enfant dans ses bras et faire toutes ces petites choses que l'on considère souvent comme acquises avant qu'on ne nous les enlève...

Renaître dans une autre peau

Comment se réinventer après une telle tragédie? Comment arriver à accepter l'inacceptable? Surtout, surtout, comment retrouver le goût de vivre alors qu'on l'avait déjà perdu avant de perdre plus encore? Pas à pas, lentement, sûrement. Comme cette tortue qui s'affiche sur son bras gauche, traînant son imposant bagage pour arriver néanmoins à destination.

Dans son lourd baluchon, la mort du petit frère dont elle était proche, une passion refoulée, celle d'être artiste-peintre, une dépression post-partum, un désir de perfection, des privations infligées à son corps, des excès pour se maintenir dans un état second... Elle entamera une longue convalescence pour soigner ses blessures physiques et mentales.

«Quand je me suis retrouvée sur ce lit d'hôpital, j'avais tout perdu. J'en ai voulu aux gens qui m'ont secourue», confie-t-elle.

«J'ai repris goût à la vie sans m'en rendre compte, à petites doses. Et comme je n'ai jamais aimé perdre, je me suis battue. Ç'a été le début d'une vraie reconstruction.»

Trois rencontres seront déterminantes dans cette traversée du désert. D'abord, cet aide-soignant originaire du Mali, qui lui fait remarquer ce qu'elle possède encore, lui qui a perdu sa famille, ses amis, son identité. Puis, ce psychiatre qui lui suggère d'accumuler les petits plaisirs pour se reconnecter à elle-même: la sensation de l'eau sur le visage, l'odeur iodée de la mer, une belle rencontre... Finalement, ces deux femmes rencontrées au centre de rééducation, handicapées comme elles, qui rayonnent au point de la rendre jalouse, mais qui sont aussi la preuve que le bonheur est possible.

Ce nouveau parcours se vit comme une renaissance. «Quand j'ai pu dissocier le handicap de la dépression, j'ai regagné un nouveau souffle de vie. Comme l'enfant, j'ai dû réapprendre à marcher, à écrire. Puis, j'ai vécu mon adolescence en ayant envie de faire la fête, de voyager, d'explorer mon nouveau corps dans des rencontres amoureuses. Aujourd'hui, j'en suis à l'étape adulte, je dirais. J'ai envie de parler de mon expérience.»

«Quand j'ai eu l'impression de tout perdre, j'ai eu envie de tout donner.»

Plus heureuse avec moins 

Huit ans plus tard, elle enchaîne les projets: les voyages, les expositions, les rencontres, les championnats de natation... Elle a aussi eu une autre petite fille avec son nouveau conjoint, handicapé comme elle, qui a cette même énergie qui le pousse à croire qu'un fauteuil roulant ne peut vous empêcher d'aller au bout du monde!

Un bonheur trouvé... Mais y a-t-il parfois des regrets? «Il m'arrive d'avoir un petit pincement au coeur en voyant des gens faire ce que je ne peux plus faire, mais en même temps, j'ai aujourd'hui une vie plus riche. Tout le monde a ses tracas qu'il cache plus ou moins. Je ne me sens pas nécessairement à l'écart, finalement! Quand tu t'acceptes comme tu es, que tu as des projets qui te ressemblent et que tu savoures l'instant, tu as entre les mains les ingrédients essentiels du bonheur!»

Pendant qu'elle gesticule de sa main restante pour appuyer ses propos, il nous vient cette réflexion: était-elle gauchère avant l'accident? «Non, mais le corps a cette capacité d'adaptation incroyable! C'est comme si toutes les aptitudes de ma main droite avaient été transférées automatiquement à la gauche.»

Aujourd'hui, c'est de cette main, celle de la création, qu'elle peint de magnifiques toiles. Dans un tracé spontané se révèlent des personnages souvent incomplets, comme elle en a toujours, étrangement, dessinés. Des personnages comme les «buveurs de lune», ces êtres qui rêvent d'un monde meilleur...

Finalement, son histoire est peut-être bien le reflet d'une société contemporaine poussée dans ses limites. «J'étais toujours sur mon iPhone, j'allais vite... Si on me redonnait mes jambes, avec le même mal-être qu'à l'époque, eh bien, je vous dirais que je préfère avoir le corps que j'ai! J'apprécie aujourd'hui le vrai goût de la vie.»

Priscille Deborah raconte son histoire dans le livre Tout pour être heureuse, publié aux éditions Guy Saint-Jean.

http://www.priscilledeborah.com/

Six clés du bonheur

«J'ai voulu écrire ce livre pour livrer un message. Non, vous n'êtes pas obligé de passer par là pour être plus heureux! Dans mon cas, ce fut le passage vers une renaissance, mais ce n'est évidemment pas une solution que je prône», souligne en riant celle qui a l'impression d'avoir gagné 20 ans en maturité. Voici, en six temps, ses clés du bonheur.

1. Trouvez ce qui a du sens pour vous

Voyez ce que vous pouvez et ce que vous avez envie de faire de vos richesses, sans vous comparer aux autres et en faisant fi des qu'en-dira-t-on. Le bonheur, ça se décide et ça se prend!

2. N'attendez pas!

Réalisez vos rêves. Contre la peur qui y met un frein, dites-vous qu'il y aura toujours des solutions. Ce qu'on gagne est plus fort que ce que l'on perd. La vie est courte et le bonheur n'attend pas.

3. Entourez-vous de personnes inspirantes

Trouvez des gens qui vous ressemblent, qui vous nourrissent et qui vous poussent à aller plus loin. Le bonheur, ça se partage!

4. Savourez l'instant

Exercez le lâcher-prise. Laissez-vous porter par l'inattendu. Soyez dans le moment et pas uniquement dans la quête, pour être disponible aux occasions qui se présentent à vous.

5. Acceptez d'être imparfait

Acceptez ce qui est, ce qui veut dire aussi d'accepter ce que l'on est ou pas.

6. Revenez à l'essentiel

Pas besoin de faire 1000 choses, mais de faire les choses bien. Ce qui compte c'est l'émotion, les joies qu'on partage avec l'autre, ce qui nous fait du bien. L'humain. On s'en fout, finalement, d'avoir la plus grosse maison ou la voiture dernier cri!

Image fournie par Guy Saint-Jean