La ménopause frappe parfois très tôt. Avant même d'avoir soufflé 40 bougies, des femmes voient leur vie chamboulée, soudainement faite de bouffées de chaleur, d'insomnie et de sautes d'humeur. Un «coup de vieux» difficile à vivre quand on a de jeunes enfants et une carrière en essor ou, pire, quand le désir de maternité est inassouvi.

Quand les ovaires démissionnent

Josiane Rodrigue, 31 ans, a vu poindre les signes annonciateurs de la ménopause il y a un peu plus d'un an. Mère de deux enfants de 3 et 5 ans, la jeune femme a franchi la trentaine avec des projets plein la tête, mais aussi avec ce nuage gris flottant au-dessus d'elle, cette désagréable impression de vieillir subitement.

«Parler de ménopause à mon âge, ça fait peur. J'ai dû encaisser le choc», confie-t-elle. Le mot est effectivement lourd de sens, d'appréhensions. D'ailleurs, les médecins évitent aujourd'hui de parler de ménopause précoce et préfèrent parler d'insuffisance ovarienne. Peu après sa seconde grossesse, les nuits de Josiane ont commencé à être mouvementées, agitées. «J'avais si chaud. C'était comme si je prenais un bain.» Les tests ont confirmé ses soupçons: la ménopause était imminente.

Josiane savait la chose possible, car sa mère a été ménopausée à 37 ans. Mais, tout de même, elle croisait les doigts pour avoir quelques années de sursis. Les symptômes, comme l'insomnie et la fatigue, sont pénibles à gérer quand on a un emploi à temps complet et des marmots à la maison. Récemment, des fluctuations de l'humeur se sont ajoutées à ses bouffées de chaleur nocturnes. «Je peux être très joyeuse et, en quelques secondes, devenir vraiment furieuse. Ce n'est pas facile pour mon entourage», raconte-t-elle.

La ménopause naturelle, qui marque la fin de la vie reproductive de la femme, survient en moyenne à l'âge de 51 ans. «Une femme est officiellement ménopausée un an après ses dernières menstruations, le diagnostic est rétrospectif», explique Sylvie Dodin, gynécologue et professeure titulaire au département d'obstétrique-gynécologie de l'hôpital Saint-François d'Assise du Centre hospitalier universitaire de Québec. «Une période de transition, appelée périménopause, précède la ménopause et dure environ cinq ans. Celle-ci est marquée par de grandes variations hormonales, une anarchie des cycles menstruels.»

Pour diverses raisons, il arrive que la ménopause se déclenche bien avant la cinquantaine. On parle alors de ménopause précoce ou d'insuffisance ovarienne.

«On définit la ménopause précoce comme un arrêt de fonctionnement des ovaires avant 40 ans. Elle peut survenir chez des femmes de 25 ou 30 ans, voire plus jeunes», indique la Dre Dodin.

Plus fréquente qu'on le croit

On estime à 1 ou 2 % le nombre de femmes qui auront une ménopause précoce.

«C'est assez fréquent. Trois fois sur quatre, on ne sait pas à quoi c'est dû, c'est idiopathique», précise la gynécologue. La vie active des ovaires est tout simplement plus courte chez certaines femmes, d'où une rupture prématurée du stock d'ovules. Comme pour Josiane, le scénario se répète parfois de mère en fille, sans problème de santé sous-jacent. Il suffit d'une minime variation chromosomique.

Néanmoins, certaines causes médicales peuvent mener à une ménopause précoce. Par exemple, il peut s'agir d'une anomalie génétique comme le syndrome de Turner. Cette maladie chromosomique se caractérise par une atrophie des ovaires et par l'infertilité chez les filles atteintes.

«Une atteinte auto-immune, comme la thyroïdite de Hashimoto, peut provoquer une ménopause précoce. Les anticorps s'attaquent alors à la fonction ovarienne», explique Diane Francoeur, chef du département d'obstétrique-gynécologie au CHU Sainte-Justine et vice-présidente de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.

D'autres dysfonctions, qu'on s'explique mal, sont parfois responsables de l'insuffisance ovarienne. «Toutes les cellules sont là, mais le message ne passe plus entre l'hypothalamus, l'hypophyse et les ovaires», dit-elle.

Des symptômes forts

Isabelle Perron, 40 ans, a toujours eu des cycles menstruels réglés comme une horloge. Jusqu'à il y a deux ans. Ses hormones ont alors commencé à jouer au yo-yo, générant des symptômes importants. Ça dure depuis. «C'est terrible! À l'approche de mes menstruations, j'ai de graves maux de tête. J'ai aussi des chaleurs nocturnes à un point tel que je dois changer mes draps trempés au milieu de la nuit. J'ai des sautes d'humeur imprévues, je peux me mettre à pleurer au beau milieu d'un souper sans raison apparente», confie-t-elle.

Lorsque la ménopause survient tôt, les symptômes - comme l'insomnie, les bouffées de chaleur, la déprime et les palpitations - sont souvent plus sévères et plus fréquents, note la Dre Diane Francoeur. «Chez les femmes ménopausées dans la cinquantaine, de 80 à 85 % seront symptomatiques. Chez les moins de 40 ans, c'est la totalité», avance-t-elle. Malgré tout, «l'importance des symptômes est très variable d'une femme à l'autre, souligne la Dre Sylvie Dodin, mais certaines vont réagir très fort et avoir une qualité de vie épouvantable».

Comment savoir si on est ménopausée à 30 ans? «Les patientes se plaignent de douleur pendant les relations sexuelles, de sécheresse vaginale, ou elles consultent pour des problèmes de fertilité et des cycles irréguliers. Ça nous met la puce à l'oreille», dit la Dre Diane Francoeur. Si les symptômes passent rarement inaperçus, ils peuvent néanmoins être mal interprétés ou... niés. Un test sanguin confirmera alors qu'il y a bel et bien insuffisance ovarienne.

Isabelle Perron apprivoise peu à peu la ménopause qui s'annonce. «Ça donne un coup de vieux, comme une claque en pleine face, confie-t-elle. Ça change l'approche de la vie, avec mon conjoint aussi. On ne s'attendait pas à ce que ça arrive si tôt. C'est aussi un heureux rappel. Je réalise l'importance de prendre soin de moi.» Elle se réjouit: ses enfants sont de grands adolescents âgés de 15 et 18 ans. « Certaines copines de mon âge vivent des problèmes de fertilité, je ne vis pas ce stress. À 24 ans, ma famille était faite. Et puis, je ne sais pas comment j'arriverais à m'occuper d'un jeune enfant dans mon état!»

Josiane Rodrigue, quant à elle, y parvient. Sans toutefois avoir la même fougue qu'avant, reconnaît-elle. «Je dois m'écouter davantage. Avant, je m'entraînais quatre fois par semaine, j'avais une vie très remplie. J'ai ciblé mes priorités et j'ai ralenti la cadence. Je respecte mes limites, mon corps. Et, surtout, je passe plus de temps auprès de ma famille.»

Hormonothérapie ou pas?

L'hormonothérapie est fortement conseillée à toutes les femmes touchées par la ménopause précoce, qu'elles soient symptomatiques ou pas. Il en va autrement dans le cas de la ménopause naturelle, pour laquelle il est d'usage de prescrire l'hormonothérapie uniquement aux femmes symptomatiques, et ce, pour une durée de cinq ans ou moins. «Notre approche est complètement différente auprès des jeunes femmes. L'insuffisance ovarienne peut avoir des conséquences sérieuses à leur âge, explique la gynécologue Sylvie Dodin. En raison de la chute soudaine d'hormones, ces femmes ont un plus grand risque de troubles cardio-vasculaires et un plus grand risque de fracture, c'est clairement démontré.» Diane Francoeur, aussi gynécologue, abonde dans le même sens. «Après six mois d'absence d'activité ovarienne, la masse osseuse commence à se dégrader. Le risque numéro un est l'ostéoporose.»

Malgré tout, les femmes sont réticentes à prendre l'hormonothérapie. Et les médecins tardent parfois à en prescrire. «L'hormonothérapie a mauvaise presse, on peut comprendre la réticence des femmes. Mais quand on leur dit que les doses prescrites sont plus faibles que celles auxquelles sont exposées les femmes lors d'un cycle menstruel ou lors de la prise d'anovulants, elles comprennent mieux», dit la Dre Dodin.

À ne pas négliger: le remplacement hormonal favorise une vie sexuelle épanouie, souligne la Dre Francoeur. «La vie sexuelle devient plus agréable. Fermer la boutique à 40 ans, c'est un peu jeune, non?»