Un verre, deux verres, plein de verres. Les statistiques sont sans équivoque: les femmes boivent de plus en plus, et surtout, de plus en plus souvent. Comme les hommes? Non. Différemment. Et malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux devant l'alcool. Ces excès ont un prix: la santé. Notre santé. Attention, danger, préviennent les experts.

Désolée d'être rabat-joie. Car soyons francs, c'est exactement comme cela qu'on se sent, quand on touche ainsi à «notre drogue préférée à tous», confirme Ann Dowsett Johnston, une journaliste de Toronto qui prépare un livre sur la question à paraître à l'automne. «On aime bien se dire que les gens qui ont un problème avec l'alcool, ce sont les autres, ces rares soulons qui boivent sous les ponts...» Or, la réalité est tout autre.

 

Pensez-y: d'après les derniers chiffres, 20% des femmes qui boivent le font à l'excès. Lors d'une même soirée, certaines calent plus de cinq consommations. Parfois plusieurs fois par mois. Vrai, les hommes en font autant. Voire plus. Et ce, depuis longtemps. Sauf que leur consommation demeure stable. Chez les femmes, ces excès sont nouveaux: en 10 ans, cette consommation à risque a grimpé de 30%, note Statistique Canada.

Chez les jeunes, le binge drinking est encore plus fréquent: près de la moitié des filles de 18 à 25 ans avouent consommer à l'excès. Une statistique qui inquiète de plus en plus les chercheurs, car malheureusement, on ne sait pas ce qu'il adviendra de ces futures buveuses. S'abstiendront-elles une fois entrées sur le marché du travail? Quand elles voudront des enfants? Rien ne laisse prédire un tel ralentissement. Pour cause: entre 15 et 34 ans, les femmes ont tendance à boire majoritairement à l'excès. Les buveuses modérées sont minoritaires, note un rapport du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

Quand on sait que l'on recommande aux femmes de ne pas dépasser deux consommations par jour, voire trois, très occasionnellement, «cinq verres, cela fait vraiment beaucoup d'alcool», souligne Gerald Thomas, chercheur sénior au Centre.

«Et nos chiffres sont très clairs: les femmes sont en train de rattraper les hommes, poursuit-il. Or à tous les points de vue, il est plus néfaste pour une femme que pour un homme de boire de l'alcool.»

Risques accrus de cancer du sein

Plus néfaste? Parce que les femmes ne métabolisent pas l'alcool de la même manière que les hommes, qu'elles sont différentes physiologiquement et du point de vue hormonal, les effets de l'alcool sont par définition différents.

Le saviez-vous? Probablement pas. Seules 1% des femmes en sont conscientes: l'alcool est aussi un facteur de risque important du cancer du sein. «Quinze pour cent des cancers du sein sont reliés à l'alcool. Même un seul verre de plus par jour change vos facteurs de risque», reprend Ann Dowsett Johnston.

Un verre par jour augmente vos risques de 10%. Quatre verres? Vous quadruplez vos risques. En Angleterre, où la consommation des femmes est bien documentée, les médecins ont vu apparaître de nombreux cas de cirrhoses chez les jeunes filles.

«Même à l'adolescence, les jeunes filles sont déjà dépendantes», remarque l'auteure. Les grandes buveuses sont aussi quatre fois plus à risque de mourir d'une maladie du coeur. «C'est énorme, poursuit-elle. On a toujours parlé d'alcool en termes de divertissement. Il faut qu'on voie enfin la question de santé publique!»

Une question d'émancipation?

Pour son livre (Drink : The Intimate Relationship Between Women and Alcohol), Ann Dowsett Johnston a rencontré pas moins de 40 femmes, âgées de 14 à 84 ans. Objectif? Leur parler d'alcool: de leur petite et grande consommation, de leur petit verre pour relaxer, pour s'amuser. De verre pour oublier, aussi. Et parfois, pour carrément se soigner.

«Boire est souvent perçu comme une question de libération pour les femmes, analyse-t-elle. Les femmes ont voulu les mêmes jobs, les mêmes salaires, bref, les mêmes occasions que les hommes. Et c'est très correct. Mais boire comme les hommes?»

Est-ce un hasard? Ce sont aussi les femmes professionnelles les plus éduquées qui semblent les plus portées sur la bouteille. «Et c'est fascinant, poursuit-elle. Nous avons vécu une évolution sociologique énorme. Les femmes ont rattrapé les hommes à plusieurs égards. Mais socialement, en termes de soins des enfants, il reste encore beaucoup de chemin à faire.» Conséquence? Plusieurs femmes apprécient, le soir, après une journée au travail, d'ouvrir une bonne bouteille, pour relaxer avant de se lancer dans leur «deuxième shift». «Et ça n'est pas nécessairement mauvais, concède l'auteure. Si vous buvez pour relaxer, avec votre conjoint, en famille. La question à poser est la suivante: est-ce que vous ouvrez et vous finissez la bouteille? Est-ce tous les jours?»

D'après ses recherches, bien des femmes boivent ainsi socialement sans excès pendant de nombreuses années. Et puis un jour, pour toutes sortes de raisons, une difficulté au travail, la perte d'un proche, ou une séparation, elles sombrent dans l'excès. Et c'est là, précisément, qu'il faut poser la vraie question: «Buvez-vous pour les mauvaises raisons? »