Mené par des individus isolés ou orchestré par des gouvernements autoritaires, le harcèlement en ligne des journalistes «se propage à l'échelle mondiale» et touche en particulier les femmes, dénonce Reporters sans Frontières (RSF) dans un rapport publié jeudi.

«En 2018, faire pression sur les journalistes en ligne n'a jamais été aussi simple», s'inquiète l'organisation de défense de la presse.

L'ONG a documenté pendant six mois des dizaines de cas dans 32 pays pour établir ce rapport intitulé Harcèlement en ligne des journalistes: quand les trolls lancent l'assaut.

«Le harcèlement en ligne est un phénomène qui se propage à l'échelle mondiale et qui constitue aujourd'hui l'une des pires menaces contre la liberté de la presse», déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.

L'ONG dénonce «des campagnes de haine orchestrées par des régimes autoritaires ou répressifs comme en Chine, en Russie, en Inde, en Turquie, au Vietnam, en Iran, en Algérie, etc», mais aussi des campagnes de cyberharcèlement «lancées par des communautés d'individus ou des groupes politiques dans des pays dits démocratiques [...], voire même dans des pays très bien notés au classement mondial de la liberté de la presse, comme la Suède ou la Finlande».

Les cibles privilégiées des «trolls» sont «les journalistes d'investigation qui mènent des enquêtes dérangeantes à l'égard de régimes autoritaires ou de groupes politiques et criminels», selon RSF, qui estime aussi que «les femmes journalistes sont les plus touchées par le cyberharcèlement».

L'ONG s'appuie sur les témoignages qu'elle a recueillis, sur des données de la Fondation internationale des femmes dans les médias (IWMF) et une étude du think tank britannique Demos, selon laquelle le journalisme est un domaine dans lequel les femmes reçoivent plus d'insultes que les hommes, souvent «des menaces d'ordre sexuel et dégradantes».

RSF évoque les cas de la journaliste vénézuélienne Katherine Pennacchio, victime d'une campagne de diffamation après des «révélations sur l'église d'un pasteur évangéliste liée au scandale des Panama Papers», et de la Britannique Laura Kuenssberg, qui a dû avoir recours à un garde du corps lors du Congrès du Labour en septembre 2017 après avoir été accusée de partialité dans la couverture d'élections locales.

Mais aussi de la Française Nadia Daam, victime de menaces de mort et de viol après une chronique dénonçant une campagne de haine menée par des internautes contre deux militants féministes, et dont trois cyberharceleurs ont été condamnés début juillet à six mois de prison avec sursis.

L'ONG relaye le témoignage de la journaliste indienne Rana Ayyub, «cible des soutiens du régime [...] pour ses enquêtes sur l'accession au pouvoir du premier ministre indien».

«On m'a appelée Jihad Jane [...] On m'a traitée de prostituée. Mon visage a été apposé à la photo d'un corps nu et la photo de ma mère a été prise sur mon compte Instagram et photoshoppée de toutes les manières possibles», raconte la jeune femme, citée par l'ONG.

RSF évoque aussi le cas de la journaliste philippine Maria Ressa, ou encore du journaliste mexicain Alberto Escorcia, «menacé de mort à la suite de ses enquêtes portant sur la manière dont des comptes «dormants» sont utilisés pour influencer des campagnes électorales».

Ce harcèlement peut contraindre certains journalistes à quitter leur pays mais aussi à se censurer, souligne RSF, qui formule 25 recommandations à l'attention notamment des États et des plateformes «pour une meilleure prise en compte de ces nouvelles menaces numériques».