C'est le plus vaste programme d'identification biométrique au monde: le français Morpho travaille en Inde à fournir pour la première fois un numéro d'identité à chaque habitant, un projet du gouvernement qui cherche à révolutionner la vie courante, voire le modèle de développement.

«Aujourd'hui seule une minorité n'a aucun problème pour s'identifier. Ce projet vise tous ceux qui, faute de pièce d'identité, n'ont pas accès aux allocations, à la santé, ou ne peuvent ouvrir un compte bancaire», résume dans un entretien à l'AFP le directeur général de Morpho en Inde, Joachim Murat.

Dans ce pays chaotique où la carte d'identité n'existe pas, le 1,2 milliard d'habitants doit s'identifier avec permis de conduire, carte d'électeur, carte bancaire, passeport ou avec les factures de gaz et d'électricité.

Les plus pauvres, eux, présentent leur «carte de rationnement».

Mais dans les faits, il faut souvent corrompre des fonctionnaires pour des démarches aussi simples que l'achat d'une carte de téléphone portable, qui nécessite une pièce d'identité.

Morpho, filiale de Safran et numéro un des documents électroniques biométriques, est le principal fournisseur du logiciel qui permet une identification «multi-biométrique» à partir des empreintes digitales, de l'iris et d'une photographie du visage collectées par des capteurs biométriques.

L'Autorité indienne pour le numéro d'identité unique (UIDAI), chargée du projet lancé fin 2010, rassemble, elle, les données personnelles des habitants à savoir leur identité, adresse et genre: masculin, féminin ou transgenre.

Du croisement de ces données résulte un numéro unique à douze chiffres qui pourra être utilisé dans la vie quotidienne.

La première phase, achevée en septembre, a permis à plus de 200 millions d'Indiens de recevoir un numéro unique d'identité, dont l'utilisation est encore au stade pilote.

La deuxième phase a débuté en octobre et elle devrait atteindre le milliard d'ici à quatre ans, estime M. Murat.

Sur le terrain, 250 «agences d'enrôlement» recueillent les données des habitants, qui participent sur la base du volontariat.

Pour faire connaître le projet jusque dans les régions les plus reculées, les chefs de «panchayats» (gouvernements locaux au niveau des 600 000 villages) ont été mis à contribution pour faire circuler l'information, reçue «avec enthousiasme» par les plus défavorisés, selon l'UIDAI et Morpho.

Dans un pays où près de 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale, le gouvernement verse chaque année 50 milliards de dollars aux plus défavorisés mais la majeure partie des allocations est souvent détournée, faute de système sécurisé.

«Avec le numéro d'identité, ils vont pouvoir recevoir de l'argent sur un compte, avoir plus facilement accès aux soins et à l'éducation pour leurs enfants. Ce projet est un modèle de développement social unique», plaide le directeur général de Morpho, qui emploie 1450 personnes en Inde.

Pour l'entreprise, ce projet ouvre la porte à d'autres contrats potentiels. L'UIDAI a déjà reçu la visite de délégations du Brésil, d'Indonésie, d'Afrique du sud et du Kenya.

Le chef de l'UIDAI, cofondateur du géant informatique indien Infosys, Nandan Nilekani, se félicite de l'avancée du projet. «Il va permettre une meilleure intégration financière de la population», dit-il à l'AFP.

Certains considèrent cependant l'initiative d'un oeil critique, estimant impossible d'enregistrer précisément les données de millions d'Indiens et craignant que le gouvernement s'empare des informations personnelles.

Un projet de loi définissant les contours juridiques du projet doit prochainement être examiné au parlement.

Les plus sceptiques raillent aussi le coût de l'opération.Selon M. Nilekani, il s'élève à «trois ou quatre» milliards de dollars.

Une «goutte d'eau» comparé au budget indien de la défense, de 36 milliards de dollars l'an dernier, note M. Murat.