Un documentaire interactif pour téléphone mobile de l'Office national du film (ONF) traitant du plaisir sexuel féminin a été refusé par l'App Store d'Apple et par Google Play en raison de son caractère sexuellement explicite, a appris La Presse.

« C'est une mécompréhension superficielle du propos », souligne Hugues Sweeney, producteur à l'ONF. Il ne croit en aucune façon que la création de l'ONF puisse être obscène. Le projet Clit-moi, qui devait être lancé cet automne sous forme d'application mobile, a été refusé en raison de son contenu par les deux boutiques d'applications en ligne, confirme le producteur exécutif du studio interactif de l'ONF.

L'application numérique créée en partenariat avec huit étudiants de l'UQAM traite de l'orgasme féminin et cherche à démystifier le clitoris au moyen d'un volet pédagogique et ludique. « C'est incroyable de voir, quand on creuse, à quel point on est ignorant », souligne M. Sweeney, au sujet de la sexualité féminine. Il précise à l'appui de son propos que la première modélisation d'un clitoris n'a été effectuée qu'en 2005.

Représentation du plaisir féminin

Historiquement, le sexe féminin était étudié à travers le prisme de la reproduction, donc en se focalisant sur le plaisir vaginal uniquement, rappelle Ummni Khan, professeure agrégée au département du droit et des études juridiques de l'Université Carleton. « Les attitudes de la société par rapport au plaisir sexuel féminin ont toujours été négatives », affirme celle qui est également titulaire de la Chaire conjointe en études des femmes des universités d'Ottawa et de Carleton.

Un élan d'intérêt pour l'étude de la sexualité féminine semble pourtant croître dans plusieurs facultés universitaires, souligne Mme Khan. Le sujet semble s'être imposé du côté de l'ONF.

« C'est important, particulièrement en ce temps, après le mouvement #metoo. »

- Hugues Sweeney, producteur à l'ONF, à propos du sujet de Clit-moi

« Le corps des femmes est très prisé et exploité, mais les représentations de femmes recevant du plaisir sont souvent vues comme obscènes. Par exemple, dans le film Blue Valentine, une scène où une femme appréciait un plaisir oral avait été jugée trop extrême lors de son classement », se souvient Mme Khan. Le visionnement en salle de Blue Valentine, en 2010, avait effectivement été interdit aux moins de 17 ans par la Motion Picture Association of America, l'organisation américaine chargée de déterminer l'âge minimum pour regarder les oeuvres cinématographiques.

Censure et art numérique

Lorsqu'on soumet une application aux géants Apple et Google, le produit doit se conformer à une série de politiques et de paramètres techniques assurant sa mise en ligne de façon adéquate. « Lorsqu'une application est publiée sur l'App Store ou sur Google Play, il y a une intervention humaine. Il y a quelqu'un qui applique des politiques, mais ils ne peuvent pas déterminer s'il s'agit ou non d'une oeuvre d'art », souligne Guillaume Déziel, spécialiste de la culture numérique.

« Ceux qui appliquent les politiques sont souvent des travailleurs payés 20 $ de l'heure environ qui disent oui si y et non si x », précise Sebastien Fitch, professeur en enseignement des arts à l'Université Concordia.

« Les règlements concernant la censure sont très vagues », souligne M. Fitch. Il affirme que c'est la limite entre ce qui est réel et ce qui est fabriqué qui demeure le vrai problème. 

À titre d'exemple, en 2012, un créateur d'effets spéciaux, Rémy Couture, avait été accusé de production et distribution de matériel obscène, avant d'être acquitté. L'expert en maquillage et prothèses pour le cinéma d'horreur avait été jugé pour corruption de moeurs après avoir diffusé sur son site internet des images suggérant des scènes de torture.

L'App Store n'a pas donné suite aux demandes d'entrevue et aux questions envoyées avant la publication de cet article. Du côté de Google Play, on a dit encourager les développeurs concernés à porter la décision en appel s'ils croient que leur application respecte les politiques internes.

L'ONF ira de l'avant

« On ne va rien changer », affirme Hugues Sweeney. « L'ONF ne va pas détourner sa mission pour des diffuseurs de contenu », renchérit-il.

L'ONF compte poursuivre ses discussions avec Google et Apple dans les prochaines semaines et évalue également d'autres options pour rendre le projet Clit-moi accessible au plus grand nombre de personnes. La sortie du projet documentaire est toujours prévue pour l'automne.