(Toronto) Jannik Sinner est certainement l’un des joueurs les plus calmes, les plus doux et les plus polis du circuit masculin. Pour ces raisons, il est aussi l’un des plus appréciés. Et c’est pourquoi il détonne parmi ses concurrents.

Il fut une époque où chaque tournoi de l’ATP ressemblait à une réunion de gentlemen. Cette ère s’est quelque peu dissipée avec le départ de Roger Federer et le déclin de Rafael Nadal et d’Andy Murray. Pendant près de deux décennies, les athlètes ont été de véritables ambassadeurs pour leur sport. Ils étaient au service de leur discipline avec leurs sourires, leur courtoisie et leur classe.

Jannik Sinner, comme quelques autres jeunes joueurs, faut-il préciser, s’inscrit dans cette longue et glorieuse tradition des gentils serviteurs du sport, capables de faire les manchettes sans casser de raquette, enguirlander un officiel, contester un vaccin ou s’afficher avec une joueuse vedette.

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Jannik Sinner

Il y a plusieurs têtes fortes et caractères fragiles au sein du top 10 mondial. Cette remarque a valu à Sinner, classé 8e, un petit rire à peine dissimulé.

Pendant ce temps, il signait des autographes sur des balles, des casquettes et des raquettes au centre média du stade Sobeys, sur le campus de l’Université York.

L’Italien aux cheveux roux est resté le même depuis le début de son ascension vers le huitième rang mondial. Comme quoi il est possible d’atteindre un certain statut sans pour autant se dénaturer.

« Ce n’est pas difficile parce qu’après tout, je suis qui je suis. Si les gens m’aiment, tant mieux ; sinon, je n’y peux rien », a-t-il confié à voix basse, marqueur Sharpie à la main.

« Dans mon esprit, je ne suis que Jannik, a-t-il ajouté. Ma personnalité me procure naturellement beaucoup de bonheur en ce moment. Dans la position où je me trouve, je dois simplement rester moi-même et être fidèle à ma personnalité. C’est chouette. »

Les pieds sur terre

Sinner a grandi dans un village de moins de 4000 habitants dans le nord-est de l’Italie. Là où la nature est un proche voisin et où l’humilité se répand comme les feuilles en automne.

Il l’admet, faire partie de ce cirque, ou de cette jungle, qu’est le circuit de l’ATP est « parfois compliqué ». Pendant notre discussion, il se dirigeait vers sa énième entrevue de la journée. Pour combler le temps entre elles, il en faisait d’autres. Et c’est ainsi toutes les semaines, chaque fois que les joueurs débarquent dans une nouvelle ville.

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Jannik Sinner signe des autographes.

Le bruit des portes, des escaliers en tôle et des amateurs lui demandant des égoportraits en marchant ne l’a pas empêché de poursuivre la discussion. Bien installé dans le top 10 depuis le mois d’avril, le grand droitier réussit à garder le cap d’une seule manière : « Il faut que tu croies en toi plus que personne. »

Se rendre près du sommet de la pyramide n’implique pas seulement des tableaux plus favorables et des bourses plus coquettes. Cela amène également pression et attentes, en plus d’inévitables déceptions. Et la chute peut être brutale. « Si tu ne crois pas en toi, tu vas tomber immédiatement. »

Viser haut

Sinner, alors vêtu d’un survêtement gris et d’un pantalon jogging noir aux couleurs de son commanditaire au crochet doré, a parfois du mal à croire à quel point son ascension a été fulgurante.

Il a été élevé avec des skis aux pieds l’hiver et une raquette à la main l’été. Même s’il se voyait un jour performer sur les plus grandes scènes du monde, sous la neige ou au soleil, c’était difficile de le concevoir, car il n’avait aucun point de référence.

Aujourd’hui, où qu’il soit, il doit composer avec les regards et les caméras. « Plus jeune, même si tu en rêves, c’est difficile de croire que tu peux vraiment y arriver. Je me disais : “Je serai capable, mais il y aura beaucoup de travail à faire.” Mais il faut y croire et surtout sacrifier bien des choses pour atteindre un tel niveau, et c’est ce que j’ai fait. »

Il n’a pas le charisme d’un Daniil Medvedev, l’apparence d’un Stéfanos Tsitsipás ou l’éloquence d’un Holger Rune, mais il n’a pas non plus la sagesse ou la rigueur d’un jeune homme de 21 ans. Il navigue entre ses différentes obligations comme un vétéran.

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Jannik Sinner, l'an dernier à Montréal

Plus important encore, il joue comme s’il faisait partie des meubles du circuit. Or, il n’y a que deux joueurs plus jeunes que lui au sein du top 15.

Il revendique un titre cette saison, à Montpellier, le septième de sa carrière, en plus d’avoir atteint deux finales, dont une au Masters 1000 de Miami.

Sur le terrain, surtout dans les tournois de plus grande ampleur, il est de plus en plus constant, mais, surtout, beaucoup plus sûr de lui.

« Il existe des techniques de visualisation pour chaque personne et la mienne est assez simple : je dois m’imaginer devenir le meilleur au monde si je veux le devenir. Si tu crois que tu peux y arriver, tu dois le manifester d’une quelconque façon. Chaque jour, tu dois aimer ce que tu fais et y croire », explique-t-il une fois arrivé sur la passerelle.

Son but est donc de ravir le haut de l’échelle à Carlos Alcaraz. Il est « encore insatisfait » de son classement, car ses visées vont bien au-delà de sa huitième position, mais il estime être déjà « meilleur qu’il y a un an ».

Lorsqu’il atteindra le sommet, parce qu’il sait que ça arrivera, il pourra se réjouir d’y être parvenu en étant resté lui-même.