John McEnroe n’y est pas allé par quatre chemins au sujet de Félix Auger-Aliassime. L’entraîneur-chef de l’équipe Monde à la prochaine Coupe Laver tient le Québécois en très haute estime. À son avis, son impact sur le tennis pourrait être semblable à celui de Michael Jordan ou de Tiger Woods sur leur sport respectif. Rien de moins.

En entrevue, McEnroe est exactement comme on l’imagine. Énergique, bruyant, éloquent et vif. L’homme de 64 ans est assis dans le vestiaire de son académie de tennis, à New York, portant la veste rouge coquelicot de l’équipe Monde, à la Coupe Laver.

Il en sera à sa cinquième présence comme entraîneur-chef de l’équipe. Il se mesurera une fois de plus à son éternel rival, Björn Borg.

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Félix Auger-Aliassime et John McEnroe en conférence de presse durant la Coupe Laver en septembre dernier

L’évènement aura lieu sur le sol canadien, du 22 au 24 septembre, à Vancouver. Un seul joueur a été annoncé jusqu’à présent. La neuvième raquette mondiale Félix Auger-Aliassime.

« Félix a été notre joueur par excellence l’année passée », dit-il, visiblement emballé d’en parler, en se replaçant sur son banc.

En Angleterre, l’automne dernier, le Québécois avait disposé de Novak Djokovic en simple et du duo composé d’Andy Murray et Matteo Berrettini avec son partenaire Jack Sock en double. Il a permis à l’équipe Monde de remporter le premier titre de son histoire. « Il a vraiment fait la différence pour nous », poursuit McEnroe.

Un modèle en devenir

S’il venait à l’idée d’Auger-Aliassime de distribuer une infolettre ou de mettre sur pied un fan-club, McEnroe serait sans doute l’un des premiers à s’inscrire. Il admire le professionnalisme, la maturité et l’intelligence du jeune joueur.

Je pense qu’il va gagner un tournoi majeur dans les 18 prochains mois. Il a montré à tout le monde, à l’automne, qui était le patron.

John McEnroe

Selon lui, FAA aurait déjà pu en remporter un, mais trois obstacles appelés Djokovic, Nadal et Federer lui ont rendu la tâche plus complexe.

Maintenant, Auger-Aliassime est une vedette à l’échelle planétaire. Plus important encore, il fait bonne impression partout où il passe. « Il sera immense », soutient le gagnant de sept tournois majeurs en simple et dix en double.

À ce propos, le gaucher ne parlait pas nécessairement de son potentiel sur le terrain, mais plutôt de sa capacité à rallier le plus d’individus possible autour d’une même cause. Autour d’un même sport.

Notre sport n’offre pas assez d’opportunités. J’aimerais voir le prochain Michael Jordan ou LeBron James jouer au tennis, et Félix le fait incroyablement bien. Il vient d’une famille immigrante [par son père], il a grandi en tant que jeune Noir, il sait qu’il peut changer les choses au Canada. Imaginez s’il gagne en plus ! Un peu comme Tiger Woods, qui a je ne sais plus combien de majeurs.

John McEnroe

Depuis une décennie, McEnroe tente, avec son académie, de « rendre ce sport plus accessible, ouvert et abordable ».

« On a besoin d’ouvrir nos portes aux meilleurs jeunes, qu’ils soient blancs, noirs, jaunes ou de n’importe quelle autre couleur », soutient-il. Et Félix Auger-Aliassime pourrait faire partie de la solution.

Shapovalov doit encore apprendre

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Denis Shapovalov

Outre qu’ils sont blonds et jouent de la main gauche, McEnroe et Denis Shapovalov partagent certains traits de caractère.

Sur le court, tous deux sont émotifs, voire colériques. Parfois, leur attitude peut nuire à leurs habiletés et porter ombrage à leur talent.

C’est pourquoi la légende du tennis américain se reconnaît, dans une certaine mesure, dans le Canadien. « Denis a un talent immense, c’est un bon garçon, il travaille fort. »

Il devra toutefois être prudent, car « parfois, il joue comme une poule pas de tête, précise-t-il. Quelquefois, c’est dur de savoir ce qu’on va obtenir de lui ».

Cependant, « c’est tellement dur de jouer contre ce genre de joueur. Ça peut être un avantage pour lui. Il devra seulement être constant sur le long terme ».

Si Shapovalov souhaite un jour remporter un titre majeur, il devra inévitablement venir à bout de longs matchs de cinq manches. McEnroe est convaincu du potentiel du Canadien et il croit en ses chances de triompher en tournoi du Grand Chelem un jour ou l’autre.

Un seul conseil demeure : « Il doit replacer quelques trucs dans son esprit et éviter de se battre lui-même. C’est l’essentiel, et c’est pour ça que les meilleurs sont les meilleurs. »

Pour « Super Brat », nul doute que Shapovalov « peut être dans le top 10 ».

Plus que des joueurs de hockey

L’été dernier, la grande Billie Jean King avait confié à La Presse qu’elle était impressionnée par le système de développement de Tennis Canada. Selon elle, toutes les nations auraient avantage à s’inspirer de la fédération canadienne.

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Billie Jean King

De son côté, McEnroe a du mal à cerner en quoi l’approche des programmes canadien et américain diffère.

Le Canada, cependant, a surpris le monde entier avec l’éclosion de tous ses talents, reconnaît-il : « Félix et Denis ont été longtemps mieux classés que tout autre joueur américain. Bianca Andreescu a gagné les Internationaux des États-Unis. Je me disais : “Attends une minute. Je croyais que le Canada fabriquait juste des joueurs de hockey !” Le Canada a été meilleur que nous [les États-Unis] au tennis, dernièrement. On se demandait tous ce qui était en train de se passer là-haut. »

L’époque actuelle n’a rien à voir avec la sienne. Auparavant, affronter un joueur canadien, c’était s’assurer un accès direct au prochain tour. Dorénavant, ils sont craints : « Dans mon temps, j’espérais jouer contre un Canadien. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »