Un bien curieux projet, ce film sur John McEnroe. Car si le champion américain est bien le sujet du documentaire John McEnroe: l'empire de la perfection, il n'est pas le seul.

Le cinéaste Julien Faraut, responsable des archives à l'INSEP (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance, à Paris), raconte être tombé un jour sur une série de films réalisés par Gil de Kermadec, l'ancien directeur technique national du tennis français, qui souhaitait percer par l'image les secrets des grands joueurs de son époque.

«Il a réalisé 10 portraits entre 1977 et 1985, et celui de McEnroe est le dernier de la série, rappelle Faraut. Ça explique qu'il ait accumulé énormément de matériel sur l'Américain. Mais alors qu'on jette habituellement tout ce qui est coupé au montage, on a conservé tous les rushes du film sur McEnroe.»

Des centaines de mètres de pellicule, dans lesquels Faraut a trouvé matière à un film sur McEnroe, mais aussi sur le documentaire original de Gil de Kermadec et sur le cinéma.

«Un film, ce n'est pourtant pas qu'un sujet, il doit aussi y avoir un traitement, et j'ai trouvé dans ce projet le moyen de parler du sport et du cinéma.»

Loin d'une «biographie» de McEnroe ou même d'un récit de son parcours à Roland-Garros, tournoi qu'il n'a jamais gagné, le film nous en apprend toutefois beaucoup sur le personnage ambigu qui a toujours entretenu une relation complexe avec son métier.

«En France, il y a une ambivalence envers lui, explique Faraut. Il avait ce côté "bad boy" américain, enfant gâté, condescendant, qui provoquait une certaine animosité entre le public et lui. Par contre, il avait aussi un côté très créatif, proche du génie, que les amateurs admiraient beaucoup chez lui. Cela a fini par faire l'unanimité et cela explique la nostalgie des Français envers McEnroe aujourd'hui.»

Le cinéaste avoue qu'il n'aurait pas pu faire un film sur un autre joueur que McEnroe en raison, justement, de cette ambiguïté. « Personne ne regrette son comportement - qui n'a pas toujours été bien compris ou accepté -, mais tout le monde s'ennuie de sa grâce, de sa créativité.

«Quand on regarde le film, on constate qu'il n'y a aucune routine dans son jeu. On a parfois l'impression que lui-même ne sait pas ce qu'il va faire jusqu'au moment où la balle arrive sur sa raquette.»

Recréer un drame

Imprévisible, McEnroe l'aura toujours été, et Faraut ne pouvait ignorer ses nombreuses frasques. On s'aperçoit d'ailleurs très vite dans le film que le joueur avait fini par prendre conscience de la présence de l'équipe de Gil de Kermadec - avec les caméras bruyantes et les gros micros - et que cette présence a été l'un des déclencheurs de ses nombreuses crises sur le court central de Roland-Garros.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Julien Faraut, cinéaste responsable des archives à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance, à Paris

Alors que Gil de Kermadec ne s'intéressait principalement qu'au jeu de McEnroe, Julien Faraut a souhaité utiliser ses rushes pour aussi illustrer une autre dimension du parcours de l'Américain.

«Le film est assez digressif et il emprunte un chemin sinueux, avoue le cinéaste. Je trimballe le spectateur pendant une heure au gré de mes découvertes. Il m'a toutefois semblé qu'il manquait un dernier élément qui est la dramaturgie du sport. Elle est très particulière au tennis en raison des règles un peu tordues qui font en sorte qu'il n'y a pas de durée fixe. Il faut se battre pour gagner un point, puis un jeu, puis une manche et enfin le match. C'est au joueur de créer le temps dont il a besoin pour gagner.»

Après ne s'être intéressé à aucun match précis pendant la plus grande partie du film, Faraut consacre donc les 20 dernières minutes à une mise en scène de la finale de 1984 entre McEnroe et Ivan Lendl. L'Américain avait perdu après avoir mené deux manches à zéro et il dit encore aujourd'hui qu'il se réveille la nuit pour le regretter.

«Il y a deux façons habituelles de suivre un évènement sportif: sur place, dans le stade, ou à la télévision, explique le cinéaste. À la télé, la retransmission est accompagnée d'une foule de détails et de chiffres qui nous détournent de la dramaturgie. J'ai donc voulu montrer une troisième façon, celle du cinéma.»

Les images du match, parfois déjà vues plus tôt dans le film, prennent alors une nouvelle signification, le personnage de McEnroe s'éclaire d'un nouveau sens. Faraut n'hésite pas à montrer trois fois la même séquence pour accentuer la dramaturgie du match et il utilise d'autres moyens de cinéma pour raconter son histoire.

L'une des dernières séquences du film nous montre McEnroe frapper un caméraman de sa raquette après sa défaite. Une dernière ambiguïté, pour un film qui devrait rejoindre des publics très divers.

John McEnroe: l'empire de la perfection sera présenté en première en clôture des Rencontres internationales du documentaire de Montréal, samedi à 19h à l'Université Concordia, en présence du cinéaste Julien Faraut. Une seconde projection du film aura lieu dimanche à 14h au Cinéma Moderne.