(Pékin) Entre toutes, c’est l’image de Gu Ailing qui me revient, comme symbole d’un monde dont le pôle s’est déplacé vers l’Asie.

À 18 ans, elle n’est pas seulement championne olympique dans une des nouvelles disciplines – le ski acrobatique. Elle est pianiste, première de classe, admise à l’Université Stanford, cover girl dans ses temps libres et parle avec un aplomb et une éloquence sans pareil.

Elle est née à San Francisco d’un père américain et d’une mère chinoise. Entre ses deux allégeances nationales, elle a choisi celle de sa mère. Bien sûr, on lui en a fait reproche aux États-Unis. La droite américaine la dit « achetée » par la dictature chinoise – comme si faire défection pour les États-Unis n’avait pas été aussi un avantage financier immense pour les athlètes du monde entier.

On lui fera le procès qu’on voudra, un fait demeure, peu importent ses motivations : entre les deux, elle a choisi le drapeau chinois. Difficile d’imaginer ça il y a seulement une génération.

Et comme elle parle à la fois mandarin et anglais, elle ne s’est pas contentée de faire une démonstration athlétique. Elle pouvait faire porter le message officiel des Jeux (« ensemble pour un avenir commun »), tout en évitant les écueils politiques sur la répression par le régime chinois dans le Xinjiang ou à Hong Kong. On n’aurait pu rêver de meilleure porte-parole.

Elle a voté avec ses skis.

L’autre grand succès chinois, c’est le contrôle du nombre de cas dans la « bulle » olympique. Au dernier décompte, 436 cas positifs avaient été enregistrés, dont à peu près aucun dans la dernière semaine. Quelques athlètes et personnes accréditées ont été placés en isolement, mais sur les quelque 2700 athlètes, à peine une poignée a été touchée. Quand on considère que 63 000 personnes venues du monde entier vivaient dans cette bulle, c’est une réussite du point de vue sanitaire. Tout ça supposait une sorte d’enfermement, et des millions de tests. Mais la Santé publique chinoise n’agit pas différemment dans le reste du pays : c’est la politique zéro COVID-19, et la moindre éclosion entraîne le bouclage de quartiers, sinon de villes au complet.

Tout ça a permis de tenir les Jeux contre toute attente. Mais aussi, pour la Chine, d’où est venu le virus, de dire au reste du monde : nous, on sait le maîtriser.

Appelons ça la propagande de l’écouvillon.

Tous les Jeux d’hiver ramènent la question existentielle : comment un petit pays comme la Norvège (5,4 millions d’habitants) peut-il gagner les Jeux, tant pour le nombre de médailles d’or (16) que celui des médailles tout court (37) ?

Certes, la tradition sportive et le niveau d’activité physique général sont exceptionnels dans ce pays nordique. Mais ce n’est pas le compte des médailles qui nous l’apprend. Sinon, les États-Unis, souvent champions des Jeux d’été, seraient le pays le plus sportif et en forme sur Terre.

Tout est bien relatif, en ce qui concerne les médailles. Sur les 35 médailles norvégiennes, 21 ont été gagnées en ski de fond ou en biathlon, des disciplines qui comptent en tout 23 épreuves, et donc distribuent 69 médailles. Sur les 17 médailles des Pays-Bas, 16 sont en patinage de vitesse (longue ou courte piste). Si par hasard votre pays excelle au hockey, vous aurez beau avoir les 25 meilleurs athlètes au monde, vous pouvez tout au plus récolter deux médailles.

Et quand, comme au Canada, vous investissez beaucoup dans de « nouveaux » sports relativement peu pratiqués dans le monde, il se peut que votre compte final soit brillant, sans que ça veuille dire quoi que ce soit sur le niveau d’excellence athlétique général du pays.

Ça n’enlève rien au mérite des médaillés. Il faut juste se souvenir que ces palmarès sont des miroirs déformants, et ne veulent généralement pas dire ce qu’on leur fait dire.