Le commissaire de la PGA, Jay Monahan, était passé inaperçu à Venise le mois dernier. Avec un peu de chance, pensait-il en prenant son petit-déjeuner près du Palazzo Ducale, ses entretiens confidentiels en Italie avec Yasir al-Rumayyan, gouverneur du fonds souverain d’Arabie saoudite (plus de 700 milliards de dollars), resteraient secrets.

Une fuite mettrait en péril ce que seuls quelques initiés savaient : que le PGA Tour envisageait de faire affaire avec la ligue LIV Golf d’al-Rumayyan, après un affrontement de plusieurs mois entre les deux groupes autant pour l’âme du golf que pour son avenir.

C’est alors que Stefano Domenicali, PDG de la Formule 1, est apparu. Il était en ville pour le même mariage qui avait amené al-Rumayyan à Venise. Si le dirigeant du sport automobile apercevait le leader du PGA Tour, il ne manquerait pas de faire le lien entre les présences de Monahan et d’al-Rumayyan, et le plus grand secret du golf risquerait d’être dévoilé. Tout ce que Monahan pouvait faire, a-t-il raconté plus tard, c’était d’essayer d’esquiver le regard de Domenicali.

Mais Domenicali n’a jamais semblé le remarquer. Ce qui allait finalement représenter sept semaines de réunions clandestines et d’appels furtifs est resté secret jusqu’à l’annonce stupéfiante de mardi dernier : le PGA Tour, force dominante du golf d’élite masculin depuis des décennies, prévoyait unir ses forces à celles de LIV, le nouveau venu qui avait provoqué un débat sur la moralité de l’argent saoudien dans le sport.

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Yasir al-Rumayyan

L’accord a marqué un moment singulier dans l’histoire du golf professionnel. La « guerre civile » qui avait perturbé et défini ce sport autrefois distingué – par exemple, Monahan a demandé publiquement si les joueurs du PGA Tour s’étaient déjà sentis obligés de s’excuser pour avoir joué sur son circuit – a été brusquement suspendue. La réputation du circuit était désormais entachée et nombre de ses fidèles étaient furieux, mais ses caisses débordaient.

L’accord, même s’il n’était pas encore conclu, constituait également une avancée pour les ambitions de l’Arabie saoudite dans le domaine du golf. Point culminant d’un projet vieux de plusieurs années appelé « Project Wedge », l’accord donne à al-Rumayyan, l’un des gestionnaires les plus puissants du royaume, un siège dans les salles les plus influentes du sport.

Pour un pays qui aspire à une plus grande visibilité mondiale, à une économie basée sur autre chose que le pétrole et à une distraction de ses violations des droits de la personne, l’accord constitue une nouvelle étape dans son rapprochement avec l’Occident.

Ce compte rendu est basé sur des entretiens avec neuf personnes ayant eu connaissance des négociations. La plupart d’entre elles ont parlé sous le couvert de l’anonymat pour décrire les préparatifs d’une transaction extraordinaire – une transaction si confidentielle que la plupart des éminents banquiers, avocats et partenaires de diffusion du golf n’ont même pas été informés qu’elle était en cours de discussion.

Les balbutiements

Ce n’est qu’au printemps dernier que les partenaires les plus influents du golf ont commencé à croire qu’une transaction pourrait avoir lieu cette année. Il semblait y avoir plusieurs arguments évidents, certains beaucoup plus que d’autres, qui poussaient les deux parties à entamer des discussions secrètes.

LIV avait attiré certaines des stars les plus talentueuses et les plus rentables du golf, notamment Brooks Koepka et Phil Mickelson, avec des contrats qui leur promettaient parfois 100 millions de dollars ou plus. L’accord de télévision de la ligue, cependant, était maigre et ses avocats avaient reconnu que ses revenus étaient « virtuellement nuls ». Les juges fédéraux californiens ont ajouté à la tourmente de LIV en se montrant peu enclins à protéger le Fonds d’investissement saoudien du type d’examen minutieux qu’il avait généralement évité dans d’autres batailles judiciaires aux États-Unis.

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Phil Mickelson

Mais le PGA Tour, une organisation à but non lucratif exonérée d’impôt, dont le public vieillit et dont la réputation n’est plus à faire, était en plus grand péril. Dans le cadre d’une enquête fédérale antitrust, les enquêteurs du ministère de la Justice posaient des questions sur les tactiques musclées utilisées par le circuit pour décourager les défections de joueurs et cherchaient à savoir si les dirigeants du circuit étaient trop proches d’autres puissantes organisations de golf, comme l’Augusta National Golf Club, organisateur du Tournoi des Maîtres.

Plus grave encore, les efforts déployés par le circuit pour fidéliser les joueurs, notamment en augmentant les bourses de plusieurs dizaines de millions de dollars, mettaient ses finances à rude épreuve. Les contrats de télévision du circuit avaient été conclus avant qu’il ne soit confronté à l’un des rivaux les plus riches qui soient. Les frais de justice du circuit avaient aussi atteint plus de 40 millions de dollars par an, soit plus de 20 fois plus qu’au début de la décennie, alors qu’il menait des combats dont certains pourraient durer au moins jusqu’en 2026.

Monahan avait prédit un tel dénouement.

« S’il s’agit d’une course aux armements et si les seules armes sont les billets de banque, le PGA Tour ne pourra pas être compétitif », avait-il déclaré en juin dernier.

À la fin de l’année, le PGA Tour a annoncé qu’un vétéran de la négociation, James J. Dunne III, rejoindrait son conseil d’administration, et certaines personnes impliquées dans le Fonds d’investissement se sont demandé s’il n’allait pas un jour apparaître comme un émissaire.

C’est ce qui s’est passé le 18 avril, lorsqu’un message WhatsApp est apparu sur le téléphone d’al-Rumayyan. Le ton employé à l’égard de l’un des financiers les plus influents du monde, souvent appelé « Votre Excellence » et proche du prince héritier Mohammed ben Salmane, était étonnamment décontracté.

« Yasir », a commencé M. Dunne en se présentant et en demandant d’organiser un appel et, « avec un peu de chance », une visite. Il a signé le message avec la même décontraction : « Jimmy ».

L’approche, aussi optimiste et spontanée que le golf professionnel masculin était devenu tendu, a débouché sur une conversation dans les heures qui ont suivi. Dunne et al-Rumayyan ont rapidement trouvé un point d’accord qui allait façonner les négociations : aucun des deux hommes n’a insisté sur un accord de confidentialité.

Comment s’entendre ?

Londres était un terrain neutre, à quelques heures seulement du lieu de naissance du golf, en Écosse. Les deux hommes ont décidé de s’y rencontrer moins d’une semaine plus tard, rejoints par Edward D. Herlihy, président du conseil d’administration du PGA Tour.

Herlihy n’était pas un membre de conseil d’administration ordinaire ; plus d’un demi-siècle après avoir obtenu son diplôme de droit, il était associé chez Wachtell, Lipton, Rosen & Katz, l’un des cabinets-conseils les plus recherchés de Wall Street en matière de fusions et d’acquisitions.

Lors d’une réunion, puis au cours d’un dîner et autour d’un cigare, Dunne, Herlihy et al-Rumayyan ont discuté de leur approche du golf et de leur propre vie, testant en même temps si leur relation naissante résisterait à des heures de conversations en tête-à-tête.

L’histoire personnelle de Dunne faisait de lui un personnage peu susceptible d’entrer en contact avec al-Rumayyan. Plus d’un tiers des employés de sa banque d’investissement ont péri dans les attentats de 2001 au World Trade Center. Ce mardi-là, M. Dunne n’était pas au bureau et jouait au golf. Plus de 20 ans plus tard, après avoir soutenu pendant des années les familles des victimes, il rencontrait un haut fonctionnaire d’un pays que beaucoup accusent encore d’avoir joué un rôle dans les attentats. Mais, selon lui, al-Rumayyan et ses alliés ne devraient pas être blâmés.

« Si quelqu’un peut trouver quelqu’un qui a été impliqué sans équivoque, je le tuerai moi-même », a déclaré Dunne à Golf Channel la semaine dernière.

Le lendemain de leur dîner, al-Rumayyan et Herlihy ont battu Dunne et Brian Gillespie, un avocat spécialisé dans les fonds d’investissement, lors d’une partie au Beaverbrook Golf Club.

À un moment donné, avant que les deux hommes ne se séparent après le déjeuner, Herlihy a déclaré qu’il pensait qu’il était essentiel que le golf professionnel soit unifié. C’était un autre signe clair que le circuit était ouvert à un armistice avec le Fonds d’investissement qui l’avait plongé, ainsi que le golf dans son ensemble, dans le chaos et l’acrimonie.

Al-Rumayyan a marqué une pause.

« Voyons comment cela pourrait fonctionner », a-t-il répondu.

Les représentants du PGA Tour ont ensuite dit à Monahan qu’il devait rencontrer son rival saoudien.

Détentes et nervosité

Al-Rumayyan devait se rendre à Venise à la mi-mai pour assister au mariage de la fille de Lawrence Stroll, le titan milliardaire de la Formule 1. Les îles de la lagune ne regorgent pas vraiment de terrains de golf, mais tous ont convenu que Venise serait le lieu où al-Rumayyan et Monahan se rencontreraient pour la première fois.

Le groupe américain est arrivé en retard, son avion ayant dû être détourné vers Farnborough, en Angleterre. Après une série de trajets en bateau, Monahan a enfin salué al-Rumayyan ainsi que la femme et les filles du dirigeant saoudien, avant que les deux hommes ne s’installent pour une séance privée d’environ deux heures.

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Jay Monahan

Le soir, al-Rumayyan s’est rendu au mariage, un évènement prestigieux auquel participaient des stars de cinéma et des athlètes de classe mondiale. Les Américains, qui se préparaient à des négociations sérieuses le lendemain avec al-Rumayyan, se sont retrouvés pour le dîner. Le voyage devait également comprendre un repas avec la famille d’al-Rumayyan et certains de ses lieutenants les plus proches.

Pour les négociateurs de la PGA, les réunions en Italie étaient les plus importantes des conversations qui allaient se poursuivre par vidéoconférences, appels téléphoniques et réunions à San Francisco et à New York pendant moins d’un mois.

Un accord était proche, dont les termes étaient détaillés sur de nombreuses pages de jargon juridique, avec la nouvelle société connue simplement sous le nom de « NewCo ». Certains négociateurs étaient encore nerveux. Ils étaient certains qu’une fuite avant la signature de l’accord provoquerait un tollé : comment le PGA Tour pouvait-il envisager d’accepter l’argent saoudien qu’il avait dénoncé ?

Qu’est-ce qui a changé ? Monahan dira après que l’accord a été rendu public : « J’ai regardé où nous en étions à ce moment-là, et c’était le bon moment pour avoir une conversation. »

« Je reconnais que les gens vont me traiter d’hypocrite, a-t-il ajouté. Chaque fois que j’ai dit quelque chose, je l’ai dit avec les informations dont je disposais à ce moment-là, et je l’ai dit à titre de quelqu’un qui essaie d’être compétitif pour le PGA Tour et nos joueurs. J’accepte ces critiques. Mais les circonstances changent. »

Aux premières heures du 30 mai, après un marathon de négociations, une douzaine de personnes se sont réunies à huis clos dans un hôtel Four Seasons pour signer l’accord et porter un toast.

Mardi matin, après une séance à New York pour finaliser la mise en œuvre de l’accord, Monahan et al-Rumayyan se sont assis l’un à côté de l’autre pour une entrevue télévisée. À peu près au même moment, les téléphones portables des joueurs du monde entier se sont allumés pour annoncer la nouvelle.

Monahan s’est rapidement envolé pour Toronto afin d’affronter un rassemblement de golfeurs qu’il a qualifié d’« intense » et de « passionné ».

Dunne et al-Rumayyan se sont retirés au Deepdale Golf Club de Long Island pour une nouvelle partie.

Al-Rumayyan a de nouveau gagné.

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