Les murs tombaient. La musique pop pétillait. Le fluo triomphait. C’est cette époque qu’on retrouve avec plaisir dans la série documentaire The Last Dance, consacrée aux années de Michael Jordan avec les Bulls de Chicago (1984-1998). Une période d’insouciance. D’optimisme. De légèreté.

Et personne n’incarnait mieux la légèreté que Michael Jordan.

Un superhéros en baskets. Capable de sauter de la ligne des lancers francs et d’atteindre le filet, 15 pieds plus loin. Capable de vaincre la gravité. On voulait tous voler comme lui.

Au Québec, les terrains se sont mis à pousser un peu partout. Dans les parcs. Dans les stationnements. Dans les cours d’école. Des fois, c’était un peu tout croche.

À mon école primaire, le concierge avait vissé un anneau sur le mur de brique, à 12 pieds du sol. Soit deux pieds plus haut que la hauteur normale. Ça gardait les pointages bas.

PHOTO JOHN SWART, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Michael Jordan

Nous avions des terrains. Mais pas de club ni de talent. Jusqu’à ce qu’un père du quartier prenne les choses en main. Monsieur Laurence a loué le gymnase de l’école, le samedi matin. Il a invité les jeunes du quartier. Le premier automne, nous étions une vingtaine, les mains pleines de pouces. Un peu comme les citoyens de Sainte-Marie-la-Mauderne qui s’initient au cricket, dans La grande séduction.

Les premiers mois, nous avons appris les bases. Dribler. Passer. Tirer. Pas de matchs. Puis un matin, nous avons reçu nos uniformes. OK, uniformes, c’est peut-être exagéré. Nos camisoles. Rouges. Comme les Bulls. Avec trois grosses lettres noires. LSR. Pour Loisirs Saint-Robert.

Ce jour-là, nous sommes tous devenus des petits Michael Jordan.

Le basketball s’est mis à prendre beaucoup de place dans ma vie. À la récréation et sur l’heure du midi, c’est devenu mon activité préférée. Le vendredi soir, j’écoutais fidèlement NBA Action, à RDS, avec Robert Comeau, alias Bob C. Le samedi matin, j’essayais de reproduire les « jeux de la semaine » et de réussir des tirs « du centre-viiiiiiiiiiiiille ! »

Le gymnase de l’école était séparé en deux plateaux par des bancs suédois. Sur un terrain, les filets étaient installés à une hauteur de 10 pieds. Sur l’autre, à 6 pieds. C’était notre préféré. Parce qu’à 6 pieds, on pouvait dunker. À une main. À deux mains. Entre les jambes. De dos. En 360. En alley oop. On pouvait voler. Se sentir surhumain, le temps d’un saut.

Être Michael Jordan.

Chaque session, le nombre de joueurs augmentait. Au début des années 90, nous étions rendus plus d’une centaine. Le groupe a été morcelé en plusieurs équipes. Nous avons commencé à affronter des clubs des villes voisines. C’est là que nous avons réalisé que des milliers de Québécois de notre âge s’entraînaient, eux aussi, les samedis. Et les dimanches. Et même des jours en semaine. Ils étaient pas mal meilleurs que nous. Dans un tournoi à Granby, l’équipe novice que mon frère et moi entraînions s’était fait massacrer.

80-0.

88-1.

Dur retour sur terre. Ça n’avait rien à voir avec la gravité.

Malgré les nombreux insuccès de mes équipes, ça aura été le sport qui aura le plus marqué mon adolescence. J’ai joué, coaché, marqué et arbitré pendant 10 ans.

Jusqu’à la deuxième dynastie des Bulls, qui a coïncidé avec mon entrée sur le marché du travail. Rendus là, les joueurs étaient tellement grands que je ne touchais plus au ballon…

Après la (deuxième) retraite de Michael Jordan, en 1998, mon intérêt s’est dissipé. J’ai suivi en dilettante les exploits de Kobe Bryant, Shaquille O’Neal, Steve Nash et LeBron James. Mais avec moins d’assiduité que le hockey, le baseball ou le soccer.

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Cette passion, que je croyais morte à petit feu, a été ravivée le printemps dernier par le parcours des Raptors de Toronto vers le championnat. J’ai sauté dans le train après le panier gagnant de Kawhi Leonard, dans la dernière seconde du septième match du quart de finale.

Soudainement, le panier au parc est redevenu convoité.Des milliers de personnes se sont réunies pour regarder les matchs, rue Peel. Les cotes d’écoute à RDS ont explosé, avec une pointe de 427 000 lors du sixième match de la finale.

Nos ados s’y sont mis. L’aîné allait encourager l’équipe du collège. Le cadet rentrait plus tard de l’école, pour jouer au basket avec ses amis. Lorsque nous sommes allés à New York, tout juste avant le confinement, ils n’ont formulé qu’une demande : aller voir du basket.

Mode passagère ou phénomène durable ?

L’hiver dernier, RDS n’a jamais retrouvé les sommets d’écoute de la finale. C’était prévisible. Mais les cotes pour les matchs de saison ont quand même augmenté de 250 % en un an. Un indice que des fans occasionnels sont devenus des mordus.

Sur le terrain ? Au cours des cinq dernières années, le nombre de joueurs au Québec est passé de 38 000 à plus de 52 000. Et ça ne cessait d’augmenter, jusqu’à l’arrêt forcé des activités.

Cet engouement, Philippe Poisson le constate tous les jours dans son milieu de travail. Philippe est un ancien coéquipier des Loisirs Saint-Robert. Un des bons joueurs que j’ai côtoyés. Sa passion est devenue son métier. Il est aujourd’hui professeur d’éducation physique au Collège Ahuntsic, et suit à la trace les parcours de nos meilleurs joueurs.

Je lui ai demandé si ses élèves s’intéressaient davantage au basketball depuis le championnat des Raptors.

« Oui ! C’est notre sport le plus populaire. Je remarque qu’il y a beaucoup de gens qui n’étaient pas impliqués dans le basketball, et qui s’y intéressent maintenant. Ils sont attirés par la culture du sport. Le slogan, We The North, ça vient les chercher. Et tu sais quoi ? Ils sont fiers de porter les vêtements des Raptors. C’est leur équipe. Même si elle est de Toronto. Imagines-tu, dans notre temps, prendre pour une équipe de Toronto ? Ha ha ha ! Ç’aurait été impensable ! »

The Last Dance. Série documentaire de 10 heures, présentée sur Netflix. Les deux premiers épisodes sont en ligne. Deux autres seront ajoutés chaque dimanche soir, jusqu’au 17 mai.