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On voit beaucoup de gens parler de boisson pour contrôler notre cortisol. Est-ce une nouvelle tendance éphémère ?

Catherine Labonté

Sur les réseaux sociaux, des internautes vantent les supposés mérites des « adrenal cocktails » (cocktails surrénaliens), aussi appelés « cortisol cocktails » (cocktails de cortisol). Ce sont des boissons sans alcool auxquelles on attribue la vertu de « réguler les niveaux de cortisol ». Le cortisol – l’hormone du stress – est sécrété par les glandes surrénales. Quelques minutes après la poussée d’adrénaline, il envahit l’organisme pour aider à maintenir un niveau d’énergie assez élevé pour fuir ou combattre le stresseur.

Rassurez-vous : ces cocktails ne contiennent pas de cortisol, mais plutôt une série d’ingrédients qui varient beaucoup d’une publication à l’autre. Il y a les cocktails qu’on fait soi-même en combinant généralement un jus d’agrume (pour la vitamine C), du lait de coco (pour le potassium) et du sel. Certains ajoutent de la crème de tartre, du collagène ou encore du magnésium.

  • Une influenceuse attribue des mérites à la poudre qu’elle vend.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @GINABEEG

    Une influenceuse attribue des mérites à la poudre qu’elle vend.

  • Une influenceuse soutient avoir perdu 30 livres grâce à une poudre qui « régule » le cortisol.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE TIKTOK @CORTISOLMOM

    Une influenceuse soutient avoir perdu 30 livres grâce à une poudre qui « régule » le cortisol.

  • Une influenceuse vante les mérites d’une poudre.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE TIKTOK @LIV. INGWELL

    Une influenceuse vante les mérites d’une poudre.

  • Une influenceuse vante les mérites d’une poudre censée « réduire » le cortisol.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE TIKTOK @MEAGANMUSES

    Une influenceuse vante les mérites d’une poudre censée « réduire » le cortisol.

  • Une internaute propose sa propre recette, à base d’ingrédients naturels.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE TIKTOK @EBBYMOYER

    Une internaute propose sa propre recette, à base d’ingrédients naturels.

  • Les trois ingrédients de base de la recette maison de cocktail de cortisol

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE TIKTOK @MEGANSCOTTHEALTHCOACH

    Les trois ingrédients de base de la recette maison de cocktail de cortisol

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Des influenceuses font aussi la promotion de cocktails commerciaux, constitués de poudres à dissoudre dans l’eau, comme le Happy Juice, vendu à 164 $ les 30 portions. Selon le site internet de l’entreprise américaine qui les commercialise, ces poudres contiennent des extraits de fruits et de végétaux, des probiotiques et des prébiotiques. « C’est prouvé cliniquement pour réduire votre tension, votre anxiété, votre stress », promet sur TikTok Gina Beeg, qui assure que son cocktail aide aussi à gérer ses émotions, à contrôler son taux de sucre, à mieux dormir et même à perdre son « ventre de cortisol ».

Certains soutiennent que leur cocktail augmente le niveau de cortisol, d’autres qu’il le diminue, mais la plupart utilisent des termes vagues (comme soutenir et équilibrer) et affirment ceci : ces cocktails permettraient de revigorer les glandes surrénaliennes « fatiguées ».

« N’importe quoi »

À notre demande, la chercheuse Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain, a visionné une série de ces vidéos TikTok. Son verdict ? « C’est du n’importe quoi, dit-elle en soupirant. Il n’y a aucun fondement à quoi que ce soit que j’ai vu. »

L’origine de cette tendance remonte aux années 1990. Des études avaient conclu que des patients souffrant d’épuisement professionnel ou encore de fatigue chronique ne produisaient pas assez de cortisol. Des cliniciens se sont dit qu’il fallait donc rétablir les niveaux hormonaux pour retrouver l’équilibre, explique Sonia Lupien. De là a émergé le concept de « fatigue surrénalienne » – un terme pseudoscientifique.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et professeure titulaire au département de psychiatrie de l’Université de Montréal

Mais il y a deux problèmes avec ça. Premièrement, ton cocktail, il ne va pas augmenter le cortisol, ça, c’est sûr. Et deuxièmement, la fatigue surrénalienne n’est pas un diagnostic médical. Ce sont des gens qui se sont levés un matin, qui ont appelé ça de même, et qui se sont mis à vendre n’importe quoi.

Sonia Lupien

Les systèmes hormonaux sont des systèmes « extrêmement complexes », souligne Sonia Lupien. « Ce n’est pas simple comme : “tu n’en as pas assez, je t’en donne” », résume la chercheuse. « Et chaque fois que quelqu’un te dit qu’un produit traite plus qu’une chose – l’anxiété, la dépression, le diabète, j’ai perdu 30 livres, c’est sûr et certain que ce n’est pas vrai », ajoute Sonia Lupien, qui souligne que ces problèmes ont des bases physiologiques souvent à l’opposé.

Le « ventre de cortisol » existe. En période de stress chronique, le corps emmagasine du gras abdominal, parce qu’il est facilement accessible en cas de menace, explique Sonia Lupien, qui trouve hilarant qu’un « cocktail de cortisol » soit présenté comme LA solution à ce problème. « La dernière affaire que tu veux, quand tu as une bedaine de cortisol, c’est bien de te faire administrer du cortisol ! »

S’il fallait boire du jus d’orange, du lait de coco ou toutes sortes de suppléments pour stresser ou détresser, « on n’aurait jamais survécu aux mammouths », résume la chercheuse, qui souhaite un plus grand encadrement de ces contenus trompeurs.

Solution facile

Dans le moteur de recherche PubMed, on trouve des études qui ont mesuré l’association entre le stress et l’anxiété (auto-rapportés) et l’apport en différents minéraux, plantes ou vitamines. Cette littérature n’est pas dépourvue d’intérêt, mais ce sont des études de petite envergure, qui peuvent avoir des biais, et dont les résultats et les paramètres varient, explique Karine Paiement, diététiste-nutritionniste et doctorante en kinésiologie à l’Université de Montréal.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Karine Paiement, diététiste-nutritionniste et doctorante en kinésiologie à l’Université de Montréal

Quand on veut émettre des recommandations plus générales, on veut beaucoup d’études qui arrivent à une conclusion similaire. On n’a pas assez de données pour conclure que ce type de cocktail a un effet pour réduire le stress.

Karine Paiement

L’engouement envers ces cocktails témoigne d’une chose : les gens cherchent des façons de réguler leur stress, et c’est plus rapide d’avaler un cocktail que de prendre le temps de méditer, de faire des pauses actives au travail, de cuisiner des repas et de les manger entouré de gens qu’on aime, ou encore de chercher la source de son stress, résume Karine Paiement. « C’est l’ensemble d’habitudes de vie qui compte », rappelle-t-elle.

Aux gens qui veulent déstresser, Sonia Lupien a un conseil : allez faire un jogging ou une marche rapide autour du pâté de maisons ou – mieux – dans un espace vert. « Ça va avoir un impact plus important que ton cocktail de niaiserie que la madame va te vendre », conclut-elle.