« J’ai le cœur brisé, parce que je l’aime et que c’est une de mes chanteuses préférées. Mais aussi parce que j’ai vu la détresse dans ses yeux. Et je connais ce sentiment. »

Ce sentiment, Debra Richardson le connaît depuis plus de 30 ans, lorsqu’elle a ressenti les premiers symptômes du syndrome de la personne raide, le trouble dont est atteint Céline Dion (qu’on appelle aussi le syndrome de Moersh et Woltman). Elle a reçu son diagnostic en 1994 et a même participé, au début des années 2000, à un essai clinique des National Institutes of Health, aux États-Unis, pour tester l’effet d’une médication.

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Le syndrome de la personne raide est un trouble du système nerveux central caractérisé par une raideur musculaire et par des spasmes. Chez les deux tiers des patients, on trouve dans le sang des anticorps qui sont dirigés contre la partie du système nerveux qui permet la relaxation musculaire. On parle donc d’une maladie auto-immune : le corps s’attaque lui-même à sa capacité de se relaxer.

Contrairement à la maladie de Lou Gehrig, le syndrome de la personne raide n’est pas une maladie dégénérative, mais plutôt chronique. Les gens qui en souffrent n’en meurent pas non plus.

En général, on parle d’une condition qui est assez débilitante, parce qu’elle est imprévisible et inconfortable. Tout d’un coup, votre corps se contracte. C’est désagréable, puis ça vous empêche de continuer.

La Dre Karine Garneau, neurologue spécialisée en maladies neuromusculaires et en neurophysiologie au CHUM

Comme pour bien des patients atteints de ce trouble rare, Debra Richardson a dû attendre des années avant de recevoir son diagnostic. « Les spasmes et la rigidité devenaient de pis en pis, raconte la femme de 65 ans, jointe en Floride. Et les spasmes sont terribles : c’est comme si votre corps entier se faisait tordre. »

PHOTO FOURNIE PAR DEBRA RICHARDSON

Debra Richardson

La raideur est persistante, tandis que des spasmes musculaires s’ajoutent, parfois sans raison, parfois à cause d’un banal stimulus. « Je l’appelle le syndrome de la princesse au petit pois : on est ultra-sensible à n’importe quoi, résume Debra Richardson, auteure du blogue Chronic Chaos. Même un simple bruit peut provoquer un spasme. »

Un simple pause ou un arrêt complet ?

De l’autre côté de l’Atlantique, en Gambie, la Française Léa Jabre Fayad a beaucoup pleuré lorsqu’elle a écouté Céline Dion raconter à son public la nature de ses problèmes de santé et son désir de performer à nouveau. Léa, 35 ans, a reçu son diagnostic en 2021 après un long parcours du combattant, où elle s’est fait dire à maintes reprises que ses symptômes étaient causés par de l’anxiété.

PHOTO FOURNIE PAR LÉA JABRE FAYAD

Léa Jabre Fayad, atteinte du syndrome de la personne raide

« Je me suis identifiée à la façon dont Céline Dion parlait, dit Léa Jabre Fayad, membre de la Stiff Person Syndrome Research Foundation. Elle appelle ça une pause dans sa carrière. J’espère que ce ne sera qu’une pause, mais ayant vécu avec cette maladie depuis maintenant plus de six ans, il y a beaucoup de choses que j’ai dû arrêter, parce que mon corps n’arrive plus à suivre. » Courir, marcher de longues distances, danser, sortir dans des lieux bruyants… « J’ai fait le deuil de ces choses. Et si dans deux ou trois ans, j’arrive à les faire de nouveau, ce sera merveilleux », dit Léa Jabre Fayad, dont les traitements sont prescrits par le DScott Newsome, de l’hôpital Johns Hopkins, aux États-Unis.

Écoutez la réaction sur le compte Instagram de Léa Jabre Fayad (en anglais)

Céline Dion pourra-t-elle chanter de nouveau, remonter sur scène ? La neurologue Karine Garneau n’a pas commenté le cas précis de Céline Dion, mais elle souligne que le trouble a des effets variables d’une personne à l’autre. Certaines personnes vont être soulagées par la simple administration de médicaments qui inhibent la contraction musculaire (comme le Valium), tandis que d’autres vont voir leurs symptômes persister dans le temps, malgré la médication, dit-elle.

Si on a le contrôle sur les symptômes, je pense qu’on peut espérer retourner aux activités.

La Dre Karine Garneau, neurologue spécialisée en maladies neuromusculaires et en neurophysiologie au CHUM

Debra Richardson insiste sur l’importance de garder espoir. Elle connaît un homme atteint du syndrome qui a couru un ultramarathon, et un autre qui marchait avec une canne et qui a pu skier à nouveau. « Et moi, j’ai été confinée à la maison pendant 10, 15 ans avant de courir et d’être même capable de courir un demi-marathon », dit Debra Richardson, qui contrôle son trouble grâce à la médication, mais aussi grâce à des changements à son mode de vie. Elle a aussi appris à ne plus stresser lorsqu’elle a de mauvaises journées. Un autre jour viendra.

« Je ne connais pas la gravité de la variante dont souffre Céline Dion, mais si ses symptômes peuvent être atténués et stabilisés, elle pourrait peut-être faire du travail en studio avec des écouteurs, et plus tard par vidéo ? Patience et persévérance. Le premier objectif est de se stabiliser. Sa carrière peut prendre une tournure différente qui peut être tout aussi épanouissante. »

Selon Debra Richardson et Léa Jabre Fayad, malgré toute sa tristesse, cette sortie de Céline Dion a une part de lumière, parce qu’elle permettra de braquer les projecteurs sur cette maladie si peu connue du grand public et encore trop peu étudiée.

Diagnostic

Le syndrome de la personne raide est rare. Chaque année, seule une personne sur un million en reçoit le diagnostic, qui est complexe à établir, parce que la raideur musculaire peut être causée par une foule de maladies. Le diagnostic repose sur un ensemble de symptômes avec des tests à l’appui (présence d’anticorps, impact d’un médicament qui favorise la relaxation musculaire et enregistrement de l’activité musculaire). « Quand vous pliez votre bras, le triceps va se relaxer pour permettre aux biceps de se contracter, explique la neurologue Karine Garneau. Dans le syndrome de la personne raide, quand on met les aiguilles pour enregistrer les activités musculaires dans les muscles agonistes et antagonistes (comme le triceps et le biceps) de façon simultanée, on se rend compte que les muscles se contractent de façon continue et n’effectuent plus la relaxation qui est nécessaire au bon fonctionnement. »