Karine Gravel part de la prémisse qu’à moins d’avoir une affection particulière, chacun est pourvu d’une intelligence et des compétences pour évaluer les aliments dont il a besoin ou envie, et à quel moment. « Il est temps de faire de son corps et de la nourriture des alliés », estime l’autrice du livre De la culture des diètes à l’alimentation intuitive, qui répond à un discours culpabilisant et restrictif par l’indulgence et la bienveillance envers soi.

Souhaite-t-on vraiment passer sa vie à se priver et à se trouver inadéquat ? demande la nutritionniste Karine Gravel en mettant les pendules à l’heure. La minceur n’accompagne pas forcément la santé et le fait d’être en forme. « Ce n’est pas évident de s’aimer dans une société où la culture des diètes s’impose. J’aimerais qu’on apprenne à respecter davantage notre corps », revendique l’experte en alimentation intuitive en soulignant que l’industrie de l’amaigrissement est la seule à vivre de ses échecs.

On aura compris que Karine Gravel ne nous dira pas quoi manger. Pas plus qu’elle ne donnera de secrets révolutionnaires pour perdre les kilos jugés en trop. Elle nous invite, au contraire, à faire la paix avec notre tour de notre taille et à retrouver le plaisir de manger sans culpabilité pour viser ce poids idéal, qui est celui dans lequel on se sent bien dans sa peau et dans sa tête.

Chaque personne est l’experte de ses préférences, de ses envies, de ses sensations d’appétit et de son assiette. Juger de sa faim et de ses mensurations en fonction de critères extérieurs ou de modes corporelles est aussi déraisonnable que de se permettre de juger la silhouette des autres, estime-t-elle. Viser le poids naturel n’implique pas de « faire attention ». Il se traduit plutôt par une diminution du contrôle et des restrictions alimentaires.

Je suis reconnaissante de ne pas avoir pensé que je devais plaire à tout prix pour exister. […] Je ne me considère pas comme un objet de décoration dont la fonction est d’être désirable.

Extrait du livre De la culture des diètes à l’alimentation intuitive

Si les régimes amaigrissants faisaient partie de la solution, on s’en serait rendu compte, expose Karine Gravel. Or, les études démontrent leur inefficacité à moyen et à long terme. « Ce concept est dépassé. Il déstabilise un mécanisme qui nous permet d’évaluer ce qui nous convient ou non, c’est-à-dire nos signaux de faim et de satiété. »

À cette cacophonie s’ajoute une surabondance d’information sur la nutrition – superaliments, régimes détoxifiants, aliments-médicaments – qui alimente la confusion, relève-t-elle encore. L’alimentation intuitive, pour laquelle l’experte fait figure de pionnière, propose de simplifier les choses : mangeons les aliments qui nous font nous sentir bien, sans chercher à les catégoriser comme bons ou mauvais.

45 % des Québécoises font au moins deux tentatives de perte de poids par année. 86 à 94 % [des personnes] qui ont suivi une diète amaigrissante ont repris le poids perdu deux ans ou plus après la fin de la diète.

données tirées du livre De la culture des diètes à l’alimentation intuitive

« Tous les aliments sont bons. L’important, c’est la variété et la modération. L’alimentation doit être considérée dans son ensemble et non en fonction d’un seul repas ou aliment », tranche-t-elle en nous invitant à adopter l’approche du « good enough » (suffisamment bon) qui stipule que l’alimentation n’a pas à être parfaite.

Dans cette vision déculpabilisante, un fromage triple crème est aussi valable qu’une salade. « Il est plus simple d’assumer son plaisir et de passer à autre chose, indique-t-elle dans son ouvrage. Peu importe, il s’agit d’une préférence alimentaire à un moment précis, et non d’un péché suprême. »

La gourmandise réhabilitée

L’ouvrage redonne au mot « gourmandise » sa réelle signification : l’appréciation de la nourriture avec ses cinq sens, comme on le ferait pour déguster un vin. Le gastronome Jean Anthelme Brillat-Savarin – en l’honneur de qui a été conçu un exquis fromage crémeux – considérait d’ailleurs la gourmandise comme l’ennemie de l’excès, car les gourmands privilégient la qualité à la quantité.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Karine Gravel

En se connectant à ses signaux internes et à son plaisir pour réguler sa prise alimentaire, le risque de brouiller ses sensations de faim et de rassasiement est moindre, indique Karine Gravel. « Si on cherche à contrôler ces signaux, ce n’est pas de l’alimentation intuitive. Ça n’exclut pas qu’il y ait des conséquences sur le poids, mais on essaie que ce ne soit pas vu comme un objectif, pas plus qu’un succès ou un échec. »

Cela dit, est-il encore légitime de vouloir perdre du poids ? « Bien sûr, répond Karine Gravel, mais je pense qu’il est bon de se questionner d’abord sur les raisons qui nous poussent à vouloir maigrir ou à manger au-delà de nos besoins. Ce sur quoi on a un certain pouvoir, c’est nos habitudes de vie. Alors on devrait voir ce qu’on peut améliorer pour prendre soin de nous et se sentir bien. » Le poids ou la minceur ne déterminent pas la valeur d’une personne qu’on apprécie, fait-elle remarquer. « Au fond, notre corps est intelligent. Plutôt que d’essayer de le contrôler, je pense qu’il serait préférable de l’écouter et de travailler en équipe avec lui pour réconcilier, une fois pour toutes, le plaisir alimentaire et la santé. »

De la culture des diètes à l’alimentation intuitive

De la culture des diètes à l’alimentation intuitive

KO Éditions

232 pages