Le coronavirus ne semble pas affecter les femmes enceintes plus que les autres. Mais le niveau de stress demeure élevé pour plusieurs d’entre elles, encore plus chez celles travaillant en santé. Une chercheuse qui s’intéresse à l’effet du stress maternel sur les enfants à naître leur conseille de s’isoler de ce flot de nouvelles angoissantes. Et de se laisser aider.

Suzanne King pense beaucoup aux femmes enceintes ces jours-ci.

Selon le peu de données existantes, les femmes enceintes ne semblent pas plus à risque de contracter le coronavirus que le reste de la population, ni d’en développer une forme sévère.

Ce qui préoccupe la psychologue Suzanne King, c’est plutôt le stress que subissent les femmes enceintes en cette crise de la COVID-19.

Les travaux de Suzanne King portent sur le développement des enfants ayant été exposés au stress maternel pendant la grossesse, lors de désastres naturels. Le plus célèbre est le Projet verglas, initié lors de la crise du verglas au Québec en 1998. Les enfants du verglas sont plus sujets à présenter différents problèmes, comme l’obésité.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ MCGILL

Suzanne King, professeure en psychiatrie à l’Université McGill et chercheuse au Centre de recherche Douglas

La crise actuelle est-elle comparable à celle du verglas ? « L’étendue de la situation est semblable, ou même pire », estime Suzanne King, aussi professeure en psychiatrie à l’Université McGill. Elle souligne toute l’incertitude inhérente à cette pandémie.

Suzanne King aimerait donner un conseil aux femmes qui portent la vie.

« Si la mère se sent très menacée, son bébé sera programmé pour un monde menaçant. La mère devrait essayer de s’isoler de toutes ces nouvelles alarmantes. De rester un peu dans une bulle, une bulle heureuse, le plus possible. Ça prend beaucoup de support social, surtout par son partenaire », dit Suzanne King, qui enjoint les femmes enceintes à accepter l’aide qu’on leur propose.

Ses travaux sur les désastres naturels l’ont montré : plus les femmes voient la situation d’un œil positif, meilleure est leur santé mentale, et meilleur est le développement de l’enfant.

On ne peut rien faire pour l’état du monde, mais on peut changer notre perception. Trouver ce qui est positif dans cette situation. J’ai l’occasion de passer plus de temps avec ma famille, j’ai le temps de lire. On peut chercher les vidéos sur l’entraide dans le monde.

Suzanne King

Grand stress

Martine Lapointe, 37 ans, s’imaginait que cette cinquième et dernière grossesse serait douce et belle, mais… « Bang ! Pandémie ! On vient de péter ma balloune ! », résume Martine, qui garde malgré tout son sens de l’humour.

Elle rit, mais se sent néanmoins anxieuse. Enceinte de 13 semaines, elle se pose mille et une questions sur l’effet que le virus pourrait avoir sur son bébé (les données actuelles demeurent rassurantes). « Hier soir, à 23 h, j’étais encore sur l’internet », dit-elle. Comment se passera l’accouchement ? Et si cette crise touchait financièrement son ménage ?

Il y a aussi Mélissa, qui entame son troisième trimestre de grossesse. Elle est auxiliaire en santé et en services sociaux dans un CLSC. La salle où elle travaille accueille le va-et-vient de tous ses collègues qui font des soins à domicile. Mélissa se désole qu’« aucune surveillance » ne soit faite à l’entrée du CLSC. Pour l’instant, sa supérieure lui a dit qu’elle ne pourrait « pas nécessairement » être retirée du travail.

« Aujourd’hui, j’ai trouvé ça dur. Je m’en revenais dans mon auto et je pleurais. Je le sens, c’est très, très lourd. Ça brûle d’entendre parler du coronavirus tout le temps, nous confie Mélissa. J’ai peur de faire de l’anxiété dans le tapis. Je me bats contre moi-même en ce moment. »

Elle se sent oubliée par les mesures actuelles. Les femmes enceintes qui travaillent dans le milieu de la santé ne sont pas nécessairement retirées de leur travail ; elles doivent se qualifier au programme Pour une maternité sans danger. À ce jour, l’Institut national de santé publique du Québec recommande d’éviter de mettre les travailleuses enceintes dans le même local qu’une personne atteinte de la COVID-19 ou faisant l’objet d’une investigation.

Une pétition demandant le retrait préventif des travailleuses enceintes du système de la santé a recueilli plus de 35 000 signatures à ce jour.

PHOTO FOURNIE PAR LE CHU SAINTE-JUSTINE

Isabelle Boucoiran, obstétricienne-gynécologue et codirectrice du Centre d’infectiologie mère-enfant au CHU Sainte-Justine

Données rares, mais rassurantes

La Dre Isabelle Boucoiran ressent bien l’inquiétude de ses patientes, qui se questionnent sur les risques du virus pour elle et le bébé. « Je peux vous dire que chaque femme que je vois en clinique externe me pose la question », dit la Dre Boucoiran, obstétricienne-gynécologue et codirectrice du Centre d’infectiologie mère-enfant au CHU Sainte-Justine.

À cette question, elle répond que les données actuelles sont très limitées. Seule une trentaine de cas d’hospitalisation de femmes enceintes ont été publiés en Chine, parmi lesquels on compte un décès. « Mais jusqu’à maintenant, on n’a pas l’impression que les femmes enceintes sont plus susceptibles à l’infection, c’est-à-dire qu’on n’a pas l’impression qu’elles l’attrapent plus que les autres », dit-elle. 

> Consultez le document du MSSS

Les femmes dans leur troisième trimestre de grossesse sont plus à risque de développer des infections sévères lorsqu’elles contractent un virus respiratoire, note Dre Boucoiran. Contrairement à la grippe H1N1, il n’y a pas de « signe d’alarme » que ce soit plus sévère chez les femmes enceintes que chez la population en général, dit-elle. Les échos qui viennent des collègues d’Italie et de Hong Kong l’ont aussi « rassurée ».

Aucun cas de malformation congénitale ou de présence du virus dans le liquide amniotique ou le lait maternel n’a été observé. Comme le virus ne semble pas particulièrement dangereux chez les nouveau-nés non plus, même atteinte du virus, la mère pourra rester avec son bébé après avoir accouché, indique la Dre Boucoiran. Elle pourra aussi être accompagnée de l’autre parent ou d’une personne significative pendant l’accouchement, si cette dernière ne présente pas de risque.

« Je pense que c’est de notre devoir aussi d’essayer de donner des faits, et d’essayer, sans minimiser les choses, d’éviter la panique », dit la Dre Boucoiran, préoccupée par le niveau de stress de ses patientes.

Aux femmes enceintes stressées d’être stressées, Suzanne King se fait rassurante. Elle compare le bébé à naître à un ragoût de bœuf, qui nécessite plusieurs ingrédients. « Je dirais que le stress de la COVID-19 ou autre chose de grave, c’est peut-être les petits pois », dit-elle, mais ça prend plein d’autres ingrédients : la génétique, les bonnes habitudes de vie, le peau à peau entre la mère et l’enfant dans les premières semaines de vie, etc.

Ses travaux ont aussi relevé que les meilleures habiletés parentales – environnement stimulant avec discipline consistante – protègent l’enfant de l’effet que le stress a pu avoir en grossesse.

Programme Pour une maternité sans danger

La travailleuse enceinte ou qui allaite peut se prévaloir d’une affectation préventive. Elles doivent consulter leur médecin, obtenir un certificat de retrait préventif et remettre ce certificat à l’employeur, qui doit reconnaître les dangers présents sur les lieux de travail, explique Nicolas Bégin, porte-parole de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Il peut lui confier d’autres tâches ou la mettre en retrait préventif. S’il y a mésentente, on peut joindre la CNESST. « Chaque cas est unique en soi », précise M. Bégin. Des allégements de procédures sont prévus pour les travailleuses de la santé.

Suivi adapté

Le suivi de grossesse standard est aussi appelé à changer : les soignants entendent diminuer le nombre de rencontres pour limiter le plus possible la présence des femmes dans les centres de soins et les risques de contamination. « Il y a tout un travail qui est fait actuellement pour essayer de prioriser certains rendez-vous », indique la Dre Boucoiran. Par ailleurs, les cours prénataux sont suspendus.

> Consultez le Fiche d’information complète (en anglais) destinée aux femmes enceintes

> Consultez l’article de La Presse sur le Projet verglas