Écoles fermées, rassemblements limités, télétravail fortement suggéré. Pour ralentir la progression de la COVID-19, le gouvernement demande à tous les citoyens de se serrer les coudes, métaphoriquement s’entend, car idéalement, mieux vaut garder une certaine distance avec son prochain. Dur, pour la bête sociale que nous sommes. Très dur. Analyse, explications et conseils, pour que cette pandémie n’en devienne pas aussi une de solitude.

« L’humain est une espèce grégaire. Il vit en communauté. Isoler les gens, ça peut être vraiment nuisible à la santé psychologique » signale Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Entendons-nous, précise-t-il : toutes ces mesures mises en place depuis jeudi (évènements annulés, installations fermées, isolement volontaire au retour de l’étranger) font partie d’une stratégie légitime et concertée pour ralentir la progression de la maladie, afin de limiter les débordements dans le système de santé. 

On limite les libertés individuelles pour le bien commun. Et on partage les responsabilités en tant que bons citoyens.

Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉCOLE DE SANTÉ PUBLIQUE DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Et c’est très bien. Là n’est pas la question. Par contre, enchaîne-t-il, cela ne veut pas dire qu’il faille oublier l’autre « volet » de notre « responsabilité » en tant qu’humains, à savoir : « penser à nos proches », tout particulièrement à ce voisin âgé, ou à la grand-mère handicapée. Bref, tous ces gens qui risquent de se retrouver doublement isolés.

« Je suis ravi d’avoir cette discussion, affirme Bryn Williams-Jones. Parce que c’est une réflexion que tous les citoyens doivent avoir. »

Car qui dit isolé dit danger : « Le danger de l’isolement n’est pas négligeable. C’est mauvais pour la santé mentale. Qui est intimement liée à notre santé en général. »

La question d’une éventuelle « récession sociale », voire une « pandémie d’isolement », est à envisager, croit l’expert en médecine sociale et préventive. « Oui, je pense que c’est un danger, surtout dans les grandes métropoles. » Un « volet social » au sujet duquel les autorités ne se sont pas encore prononcées, étant d’abord prises par l’urgence de la prévention que l’on sait.

Cela dit, les humains sont naturellement programmés pour s’entraider en situation de crise, poursuit-il. Une réalité qui semble bien abstraite, certes, quand on pense à toutes ces images de consommateurs en panique, à faire le plein de conserves et de rouleaux de papier de toilette ces derniers jours. Parenthèse : il s’agit là d’une réponse typique de stress, signale Sonia Lupien, fondatrice et directrice du Centre d’études sur le stress humain. « On ne voit plus que le stresseur et on tombe en mode automatique. » En un mot, on tombe en mode « chacun pour soi ». Une fois cette panique passée, ajoute-t-elle, et quand on se sent à nouveau en « sécurité » (les réserves achetées et le frigo bien rempli), le soutien social est effectivement l’une des « meilleures façons » de maîtriser ce fameux stress (sauf si c’est pour s’entourer de gens encore plus stressés, cela va de soi…).

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Sonia Lupien, fondatrice et directrice du Centre d’études sur le stress humain

Comment briser l’isolement ?

C’est prouvé. En temps de crise, que ce soit après le verglas, les inondations ou un attentat, s’installe souvent et spontanément une sorte de « logique de soutien à l’autre », reprend le bioéthicien. « C’est fondamental à l’espèce humaine, on vit en communauté et on est fragile », d’où ce besoin de soutien commun, qui n’est pas sans rappeler le fameux dilemme du prisonnier : « aider l’autre est un moyen d’assurer notre propre soutien », résume-t-il, une logique qui implique qu’on aide sa voisine parce qu’elle va nous aider en retour. Parce que non, les marginaux qui vivent retranchés dans un bunker ne sont pas la majorité, faut-il rappeler.

D’où la grande question : comment animer cette entraide fondamentale à notre humanité, en ces temps d’isolement volontaire ou obligé ? Est-ce seulement possible, dans le contexte actuel ? Non seulement c’est possible, mais cela relève de notre « responsabilité », croit Bryn Williams-Jones. « Et on a juste besoin d’être créatifs. » Pensez Skype, Facebook Live ou, pourquoi pas, un coup de téléphone quotidien. Contactez vos proches plus régulièrement, prenez des nouvelles d’un voisin âgé, offrez de faire des courses à sa place. En vous lavant bien les mains. « Ce sont des petits gestes comme ça qui font toute la différence. Qui font qu’on n’a pas le sentiment d’être abandonné, tout seul. » Un petit « comment ça va ? » ou « j’ai pensé à vous » qui change tout. Et qui fait du bien en retour, en nous consacrant tous comme acteurs de santé publique. Pour le bien-être public. Et autant s’y faire, conclut le bioéthicien. « Ce n’est pas le dernier virus avec lequel on va vivre… »

Solitude et stress 101

Si vous êtes confiné chez vous en quarantaine, en solo ou en famille, que vous sentez le stress vous envahir, que vous avez des maux de ventre ou de la difficulté à dormir, Sonia Lupien, neuroscientifique et experte en matière de stress, propose ce qui suit : tournez-vous vers les réseaux sociaux pour trouver du soutien social, essayez de bouger (ressortez ce vélo d’exercice, peut-être), respirez ou chantez à tue-tête (pour induire une respiration dite « diaphragmatique », laquelle, tenez-vous bien, annule la réponse au stress), ou faites carrément un concours de karaoké en famille. Surtout, si les actualités vous minent, « occupez votre cerveau à d’autres informations », suggère-t-elle. Le moment est peut-être enfin venu de vous retaper tous ces épisodes de Mr. Bean que vous vous promettez depuis si longtemps